C'était de Gaulle - Tome II
Américains ne veulent pas comprendre, tant pis pour eux »
Au Conseil du 10 février 1965.
GdG : « Plus ça va, plus l'affaire indochinoise apparaît comme une affaire américaine, et non (comme il y a deux ans) comme une affaire des pays du Sud-Est asiatique, auxquels les Américains apporteraient seulement leur aide. La situation est de plus en plus dérisoire : c'est l'Amérique, en face d'une Asie qui lui est hostile. Les Américains en viennent à faire quelques Sakiet 5 au Vietnam Nord, en attendant peut-être d'en faire en Chine. Ils vont tuer des pauvres diables qui n'en peuvent mais. »
Au déjeuner de chasse à Rambouillet, le 8 décembre 1964, j'interroge le Général sur le Vietnam.
GdG : « Les Américains vont louvoyer, vont atermoyer. Johnson n'ose pas s'opposer à ses militaires. Il est entraîné par eux, jusqu'au jour où il se rendra compte qu'il est au bord de la catastrophe.
AP. — Il y a deux ans que vous aviez mis Kennedy en garde.
GdG. — Depuis deux ans, les Américains n'ont fait qu'accumuler les échecs. Que voulez-vous que j'y fasse ? Ils n'avaient qu'à être moins bêtes. J'ai fait ce que j'ai pu pour les acheminer vers la seule voie raisonnable. S'ils ne veulent pas comprendre, tant pis pour eux. »
1 Profitant de la lutte de tendances qui a lieu au sein de la junte militaire après l' assassinat de Ngo Dinh Diem, le général Khanh s'est emparé du pouvoir le 30 janvier.
2 Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est.
3 Après la mort de Nehru, la charge de Premier ministre fut occupée par Lal Bagaddir Shastri, auquel Indira Gandhi, fille unique de Nehru, succédera en janvier 1966.
4 Gandhi en 1948 et Nehru en 1964.
5 Le 8 février 1958, l'aviation française avait bombardé le village tunisien de Sakiet-Sidi-Youssef, qui servait de base au FLN.
Chapitre 15
« LA GUERRE DURERA DIX ANS ET SE TERMINERA DANS LA HONTE »
Les bombardements systématiques du Nord-Vietnam par l'aviation américaine ont commencé 1 . C'est un tournant majeur.
Au Conseil du 24 février 1965, le Général : « Vinogradov est venu me voir. Il insiste pour que le gouvernement français se concerte plus étroitement avec le gouvernement soviétique, de manière à aboutir à une conférence sur le Vietnam. Le préalable est seulement que les Américains renoncent à taper sur le Vietnam Nord.
« Nous répondons : il faut une conférence, mais sans préalable d'aucune sorte, sinon elle n'aura pas lieu. »
« Et c'étaient eux qui avaient poussé les hauts cris au moment de Sakiet »
Salon doré, 3 mars 1965.
GdG : « Dites bien que la France a répondu positivement à la communication du gouvernement soviétique en vue de concerter les politiques, notamment pour la paix dans le Sud-Est asiatique. Il faut enfoncer le clou. En dehors de ça, il n'y a que la guerre, avec le risque d'extension progressive entre l'Amérique et l'Asie.
« Ajoutez que le Conseil a marqué son adhésion. (Curieux : le Conseil n'en a rien dit. Mais, face à un risque de guerre qui s'accroît, il s'agit d'engager officiellement le gouvernement de la France.)
AP. — Les Américains accepteront-ils ?
GdG. — Ils créent des faits tels que la conférence va devenir impossible. S'ils zigouillent des types, comme ça, tous les jours, en bombardant des villages, comment voulez-vous qu'on se retrouve autour d'une table? Et c'étaient eux qui avaient poussé les hauts cris au moment de Sakiet ! » (Rire prolongé.) Tout ça ne trompe que les naïfs, les couillons.
AP. — Vous pensez que les Chinois ne craignent pas une guerre généralisée?
GdG. — Je ne crois pas qu'ils la souhaitent actuellement, puisqu'ils ont autre chose à faire de plus pressé : sortir de la misère.Mais enfin, ils en admettent l'idée. Si elle devait avoir lieu, ils ne reculeraient pas. Même pas devant la perspective d'un bombardement atomique.
AP. — Ça peut avoir pour effet de ressouder le bloc communiste et de pousser les Russes et les Chinois à s'entendre.
GdG. — Les dirigeants russes ne s'entendront pas pour si peu avec les Chinois, parce que ce n'est pas une affaire des communistes contre les capitalistes, c'est une affaire de l'Asie contre l'Amérique. Communistes, ils ne le sont que par-dessus le marché. Et la Russie n'est pas l'Asie. Elle est contre l'Asie, elle aussi, et réciproquement. Par conséquent, non, il ne faut pas croire que ça amènera un resserrement de la Russie avec la Chine. La Chine dira aux Russes :
Weitere Kostenlose Bücher