C'était de Gaulle - Tome II
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Chapitre 9
« LA SUPRÉMATIE AMÉRICAINE EST UN ÉNORME DANGER MONDIAL »
Au Conseil du 21 octobre 1964, Couve commente l'explosion de la première bombe atomique chinoise, le 16 octobre.
GdG : « Quels que soient le sous-développement de la Chine et son retard éventuel à exploiter ce succès, elle acquerra cette immunité que confère la force nucléaire. Elle sera inattaquable. Elle entrera dans le cercle de ces quelques nations contre lesquelles on ne peut rien, ce cercle auquel nous avons la satisfaction d'appartenir. Il est vraisemblable que ça entraînera des changements dans l'équilibre mondial. Un pays qui n'est pas peuplé de Blancs a, pour la première fois, acquis l'arme terrible. Nombreux sont les peuples de couleur qui en ressentiront la fierté. »
« La bombe chinoise, c'est excellent »
Après le Conseil :
AP : « Vous l'aviez prévue, cette bombe chinoise...
GdG. — Je pensais bien qu'elle éclaterait, mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle éclate si tôt.
AP. — Vous croyez qu'elle va changer beaucoup les choses ?
GdG. — Oui, et c'est excellent. Elle va changer l'équilibre mondial. Je vous demande de souligner l'importance attachée par le gouvernement à l'entrée de la Chine dans une voie qui la conduira tôt ou tard à un armement atomique... à moins qu'elle en soit empêchée auparavant. Elle se procurera l'immunité qui est l'apanage des pays dotés d'un armement nucléaire ; lequel est tellement effrayant qu'aucun autre pays n'oserait s'attaquer à eux. N'oubliez pas de dire ça. »
Salon doré, 28 octobre 1964.
GdG : « La suprématie américaine est un énorme danger mondial. AP. — Malheureusement, nous sommes seuls à nous en soucier. (Je n'ose pas dire : "Vous êtes le seul.")
GdG. — Non, mais nous sommes seuls à avoir le culot de faire front. Les autres sont trop trouillards. Les travaillistes sont trouillards 1 . Avant eux, les conservateurs l'étaient un peu moins,mais pas beaucoup moins. Depuis le départ d'Adenauer, les Allemands sont à la dérive. Les Italiens, je n'en parle pas.
AP. — Nos partenaires de Bruxelles devraient comprendre aujourd'hui qu'on ne peut pas attendre les Anglais pour aller de l'avant ?
GdG. — Tout le monde admet aujourd'hui que les Anglais sont incapables de choisir entre le rôle de cheval de Troie des Américains et celui de membre à part entière de la Communauté européenne. Mais, pour reconnaître cette évidence, il a fallu des années. Il a fallu que les Anglais nous fassent tout rater : le plan Fouchet 2 , c'est-à-dire la construction d'une Europe politique, diplomatique, militaire, culturelle...
« C'est l'OTAN qui nous tournerait le dos »
« C'est une inconsistance totale. Alors, il reste Spaak 3 , qui fait un tour de piste de temps en temps, jamais dans le même sens. Tout ça n'a aucune valeur, aucune vigueur. Alors, puisque le plan Fouchet n'a pas marché, autant vaut avoir les mains libres, et, grâce à Dieu, nous les avons. »
L' « inconsistance », cette défaillance des individus ou des sociétés, il est prompt à la déceler. C'est une façon de simplifier le jeu, dont tant d'acteurs s'éliminent ainsi d'eux-mêmes. Dans le même entretien, il me dit, sur son périple en Amérique latine :
« Le tiers-monde, finalement, c'est d'une totale inconsistance.
En revanche, il y a les puissances. Ça, c'est important. Alors, il y a l'hégémonie américaine, à laquelle il faudra mettre un terme. Alors, il y a les Soviets, dont la menace était jusqu'à présent odieuse. Maintenant que les Soviets cessent de nous menacer, et que l'hégémonie américaine devient colossale, nous allons nous rapprocher des Russes, naturellement. Les Allemands ne l'auront pas volé. »
Dans les apparences, il parle comme un nationaliste français, méditant un nouvel assaut dans le duel franco-allemand. Mais au fond, ce qu'il reproche à l'Allemagne, ce n'est pas d'être forte, c'est de ne pas l'aider à secouer les deux jougs de Yalta.
Salon doré, 4 novembre 1964, j'interroge le Général sur la réorganisation de l'OTAN, dont les journaux reparlent.
GdG : « Nous n'y appartenons pour ainsi dire déjà plus. De toutefaçon, il va falloir la renouveler en 69, puisqu'elle a été conclue pour vingt ans.
AP. — Allons-nous attendre 69 ?
GdG (évitant de se laisser embarquer sur la date). — Nous n'y faisons plus rien. Nous la quitterons sans douleur. Nous en faisions partie, forcément, tant que nous n'avions
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