C'était de Gaulle - Tome II
pas nos bombes. Mais à partir du moment où nous les avons, et où elles ne font pas partie de l'OTAN, nous ne sommes plus vraiment dans l'OTAN. C'est d'ailleurs pourquoi les Américains ont inventé cette Force multilatérale, ont obligé les Anglais à y entrer, et auraient voulu nous obliger à y entrer aussi.
«Au sein du monde libre, les responsabilités majeures ne peuvent plus être assumées par un seul côté de l'Atlantique. Deux politiques, parfaitement conciliables, devraient pouvoir être élaborées, l'une en Europe occidentale, l'autre aux États-Unis. Elles devraient s'équilibrer.
« La Force multilatérale conduirait à augmenter le déséquilibre militaire en faveur des États-Unis. Tout pas dans cette direction nous éloignerait de celle que nous estimons souhaitable. Ce n'est pas nous qui nous éloignerions de l'OTAN, c'est l'OTAN qui nous tournerait le dos. Tant pis pour elle. Nous sommes toujours prêts à aller de l'avant dans la construction économique et politique de l'Europe, ainsi que dans la création d'une véritable défense. Nous attendons maintenant nos partenaires aux actes. »
« L'assurance tous risques, les Américains ne la donneront jamais à l'Europe »
Salon doré, 12 novembre 1964.
AP : « Comment voyez-vous l'évolution du problème de la Force multilatérale ?
GdG. — Au début, ça devait être une étude. D'après les Américains, on allait réfléchir.
« Et puis, la politique s'y est mise. La Force multilatérale est devenue un moyen pour les Américains d'éviter de prendre des engagements formels, pour le cas où l'Europe serait attaquée. L'alliance de l'Europe et des États-Unis, qui met l'Europe aux mains des États-Unis, sous leur commandement absolu (l'intonation souligne l'adjectif), n'a de sens que s'ils garantissent à l'Europe une assurance tous risques. Mais cette garantie, ils ne la donneront jamais.
« La Force multilatérale leur sert à noyer le poisson. Ils réservent toujours le droit absolu (l'intonation se répète) du gouvernement américain de jeter des bombes ou de ne pas les jeter.
« La seule véritable question à leur poser, c'est : " Vous engagez-vous à jeter en masse vos bombes atomiques, stratégiques ettactiques, si nous étions attaqués nous, et pas vous ?" Ils ne répondront jamais à cette question. Par conséquent, leur commandement de l'OTAN ne se justifie pas.
AP. — Quel est l'intérêt de ce projet pour les Allemands ?
GdG. — Ils voudraient faire croire qu'ils seront pour quelque chose dans l'emploi de cette Force multilatérale. En fait, ils n'y seront pour rien ; mais ça leur fait plaisir, vis-à-vis de leur amour-propre et vis-à-vis de leur opinion.
« Toutefois, l'effet produit est mauvais. D'abord, ils aident les Américains à prendre la tangente. Ça fait mauvais effet également parmi les pays au-delà du rideau de fer. Ça a l'air de donner aux Allemands une part de l'arme atomique de l'Occident. Ça accrédite l'idée que les Allemands sont des revanchards et sont une menace pour l'équilibre du monde. Ça met la paix en cause.
« Ou bien la Force multilatérale est une blague, dès lors que ça ne donnera pas aux Allemands la disposition des bombes ; auquel cas ça n'a pas d'importance. Ou bien, si ça devait leur donner cette disposition, nous nous y opposerions, parce que nous ne voulons pas que les Allemands aient des bombes, et nous nous mettrions avec les Russes pour les en empêcher.
AP. — Et comment voyez-vous les rapports entre la Force multilatérale et l'OTAN ?
GdG. — C'est bien simple. L'OTAN, c'est la règle de l'unanimité. Dès lors que nous ne donnons pas notre agrément à ce projet, on ne peut pas le faire dans l'OTAN. Ou bien, on fait la Force multilatérale en dehors de l'OTAN, mais alors à quoi sert l'OTAN ? La situation est très claire. »
1 Vainqueurs aux élections du 15 octobre 1964, les travaillistes sont revenus aux affaires après treize ans dans l'opposition. Harold Wilson a été nommé Premier ministre le 16 octobre.
2 Plan « pour une union des États d'Europe » proposé par la France en 1961, mis au point par une commission présentée par Christian Fouchet ; rejeté en avril 1962 par nos partenaires.
3 Ministre des Affaires étrangères de Belgique.
Chapitre 10
« CE N'EST PAS JOHNSON QUI A BARRE SUR MOI, C'EST MOI QUI AI BARRE SUR LUI »
Salon doré, 18 novembre 1964.
AP : « Maintenant que Johnson est élu, croyez-vous utile une rencontre avec lui
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