C'était de Gaulle - Tome II
inversement ?
GdG. — C'est toute la question. "Tape sur mon client et je tape sur le tien, mais ne tape pas sur moi et je ne tape pas sur toi."
« Nous aurons de quoi anéantir 80 millions de Russes »
« Alors, pour donner le change aux Allemands, les Américains ont inventé cette Force multilatérale qui n'ajoute rien à rien. Ça consiste à mettre des bombes atomiques américaines sur des bateaux, et sur ces bateaux à mettre des marins allemands. En attendant le jour où Johnson dirait : "Lancez les bombes de la Force multilatérale là où je vais vous dire." Lesquelles ne sont pas stratégiques, mais tactiques, faites pour taper sur la Prusse, sur la Tchécoslovaquie, pas sur la Russie ! Encore une chose qu'on ne dit jamais ! Tandis que la force nucléaire française sera faite pour tapersur la Russie. Avant six mois, nous aurons ce qu'il faut pour détruire en quelques heures Leningrad, Moscou, Kiev, Odessa. Voilà la réalité ! À plus forte raison, dans sept ou huit ans, nous aurons de quoi anéantir 80 millions de Russes. C'est un fait ! Alors, on n'attaque pas des gens qui peuvent vous tuer 80 millions de vos concitoyens. Même si on a de quoi tuer 300 millions de Français, au cas où il y en aurait 300 millions.
AP. — Puisque les Allemands ne disposeront pas des bombes de cette Force multilatérale, nous ne pouvons pas invoquer le traité de Paris de 54 2 ?
GdG. — Naturellement. De toute façon, les Américains ne laisseront jamais aux Allemands la disposition de leurs armes atomiques. Ce ne sont pas les Allemands qui donneront l'ordre de les lancer. Seulement, on leur donne sur les Américains une influence qu'ils utiliseront à leur profit.
AP. — C'est un premier pas vers l'accès des Allemands à l'armement nucléaire.
GdG. — Ce ne sont que des armes tactiques. Ça n'amènera que la destruction de l'Europe. Ça ne fait pas le moins du monde progresser la seule protection efficace de l'Europe, qui serait la menace de représailles immédiates et massives sur la Russie.
« Et puis, cette Force multilatérale installera les Allemands dans leur psychologie, à savoir qu'ils ne seront définitivement à l'abri de tout risque que par l'Amérique et que, par conséquent, leur politique ne peut être qu'une politique américaine. Alors, c'en est fini pour l'Europe. Ce qui est capital, c'est que l'Europe soit indépendante de l'Amérique.
AP. — C'est pourtant bien la psychologie d'Erhard, ça.
GdG. — C'est peut-être la psychologie d'Erhard, mais c'est une psychologie que nous n'admettons pas. Et c'est pourquoi il n'y aura pas de Force multilatérale. »
« Nous aurions payé nos bombes pour qu'elles soient placées sous commandement américain »
Chasse de Rambouillet, mardi 8 décembre 1964.
Le Général a invité aujourd'hui des députés et sénateurs de la majorité gouvernementale. Il nous rejoint pour la dernière traque : bien qu'il se garde de porter un fusil, il pousse la courtoisie jusqu'à partager le plaisir qu'il nous offre. Il a choisi de se placer derrière moi. Veut-il m'honorer, ou m'éprouver ? Ce qui est sûr, c'est quemon fusil tremble ; grâce à quoi, peut-être, le résultat est satisfaisant. « Ce n'est pas mal », consent-il à dire.
On expose le tableau sur le perron du château — pour une dizaine de fusils, plus de trois cents faisans, rangés comme à la parade. Le Général adresse des paroles aimables aux chasseurs, aux gardes et aux rabatteurs. Le sénateur Geoffroy de Montalembert lui dit : « Vous ne trouvez pas que c'est triste, ces pauvres oiseaux, alignés comme des soldats tués, après la bataille ? » Le Général répond froidement : « Ils ont bien servi. »
Nous allons déjeuner à l'étage. Le Général met Messmer en face de lui. Il ne se donne aucun mal pour une conversation générale. Il n'adresse la parole qu'à ses deux voisins, Habib-Deloncle et moi. Bonne occasion pour le faire parler.
GdG : « Maintenant qu'il est élu, Johnson n'est pas plus porté qu'avant à prendre des décisions. Il finasse. Il n'entreprendra pas d'action d'envergure. Sauf si son entourage le persuade que rien ne peut résister à un Président des États-Unis. Comme c'est un esprit élémentaire, et qu'il est entouré de flagorneurs, il peut tomber dans le piège. Mais la Force multilatérale, je le défie de la faire, parce que nous n'en voulons pas.
AP. — En somme, vous pensez que le Marché commun agricole, que nous sommes seuls à vouloir, se
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