C'était de Gaulle - Tome II
réalisera, et que la Force multilatérale, dont nous sommes seuls à ne pas vouloir, ne se fera pas ?
GdG. — Pour le Marché commun agricole, je n'en suis pas encore sûr; en tout cas, s'il se réalise, c'est seulement parce que nous l'aurons voulu. Quant à la Force multilatérale, si nous avions fait comme auraient fait les Félix Gaillard ou Guy Mollet d'autrefois, nous y serions entrés comme des couillons, n'est-ce pas ? Nous aurions payé nos bombes pour qu'elles soient placées sous commandement américain ! Et la presse aurait crié : "Bravo ! " »
« Entre nous et les Américains, c'est la lutte »
Salon doré, 9 décembre 1964.
AP : « Bohlen a raconté, après son audience, que vous lui aviez dit que vous vouliez sortir de l'OTAN.
GdG. — Non ! Je lui ai dit : "L'OTAN se termine en 69 et nous ne serons certainement pas dans l'OTAN telle qu'elle est, après 69. Il n'y a pas d'intégration possible pour nous. Un traité qui la prévoit, nous ne l'accepterons pas. Il faut maintenir l'alliance entre la France et les États-Unis, entre la France et d'autres pays. C'est actuellement indispensable. Mais l'intégration et le commandement américain, c'est terminé." Alors, évidemment, ça les émeut.Tous les types qui sont au SHAPE 3 vont être obligés de quitter la France.
AP. — Ils ont cinq ans devant eux.
GdG. — Oh, non ! Trois à peine. S'ils doivent être partis en mars 69, il faudra qu'ils aient commencé leur déménagement dès 67, pas trois mois avant.
AP. — Et si la Force multilatérale était réalisée, malgré vous ?
GdG. — Alors là, nous sortirions tout de suite. Nous prendrions acte de ce que l'OTAN est terminée. Les forces que nous avons en Allemagne, ou bien nous nous arrangerons directement avec les Allemands pour les y laisser, ou bien nous les ramènerons en France. Quant à tous les militaires étrangers en France, eh bien, ils ne pourront plus y rester, sauf à la condition d'être sous commandement français.
AP. — Pour la Force multilatérale, tout risque de se précipiter, si les Allemands s'arrangent avec les Anglais pour étendre à trois l'accord de Nassau.
GdG. — Ils ne pourront pas m'avoir. Je leur mettrai le marché en main : bon, alors si c'est comme ça, il n'y pas plus d'OTAN, vous êtes libres, moi aussi. Ils sont incapables de supporter cette responsabilité.
AP. — Alors, une rencontre avec Johnson ne servirait à rien ?
GdG. — Elle ne servirait que dès lors que l'Amérique aurait renoncé à l'intégration ; dès lors qu'elle conviendrait qu'il faut faire une alliance d'égal à égal ; et en s'engageant réciproquement à faire la guerre si l'autre est attaqué. Alors ça, c'est possible. Dans ce cas, Johnson pourra venir à Paris. Sinon, il sait bien que ça n'aboutirait à rien, donc il ne viendra pas. Ou bien, il viendra pour une réunion de l'OTAN, une histoire comme ça. Dans ce cas-là, je l'ignore. »
Salon doré, après le Conseil du 16 décembre 1964.
GdG : « Entre nous et les Américains, sous des dehors courtois, c'est la lutte. Nous sommes les seuls qui leur tiennent tête ; alors, ils ont décidé de nous combattre durement. Tels qu'ils sont, les Américains, c'est-à-dire une démocratie, ça n'ira pas très loin. Seulement, ça ira tout au moins jusqu'à ce qu'ils quittent la France. Leurs troupes et leurs chefs. »
1 Le général Lemnitzer a succédé au général Norstadt comme commandant en chef de l'OTAN.
2 Les accords de Paris du 23 octobre 1954 rendaient à l'Allemagne sa liberté dans le domaine atomique civil, mais la contraignaient à renoncer à la possession, la fabrication et l'expérimentation sur son sol de l'arme atomique.
3 Supreme Headquarter (of the) Allied Powers in Europe, Haut Commandement des forces alliées en Europe, installé à Rocquencourt (Seine-et-Oise, depuis lors Yvelines) ; tandis que l'OTAN l'était à Paris, dans les locaux actuels de l'Université Dauphine.
Chapitre 11
«L'INDÉPENDANCE, ÇA NE SE NÉGOCIE PAS »
Salon doré, 23 décembre 1964.
AP : « Ce mémorandum de Johnson, c'est extraordinaire ! Cette consigne lénifiante qu'il donne à l'égard de la France 1 .
GdG. — Il l'a fait publier exprès, il prend du recul vis-à-vis de tous ces excités de son Département d'Etat et de son Pentagone.
AP. — La Force multilatérale, c'était bien son gouvernement.
GdG. — Ça avait été inventé par les lobbies. Kennedy avait pris l'initiative à son compte. Johnson ne s'y
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