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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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du Luxembourg ». Sur les Champs-Élysées, « une souple écharpe de brume ».
    Le Petit Parisien  – le plus fort tirage des journaux français – arrive par piles dans les kiosques. Il imprime : « On ne peut qu’inviter les curieux et les badauds, surtout les femmes et les enfants, à ne pas s’attrouper vers les points de concentration des manifestants. »
    Sage conseil.
    Ceux qui ont décidé de ne pas le suivre, ceux qui sont résolus déjà à répondre à l’appel des groupes et des ligues, ceux-là, tout au long de la journée, vont attendre. Avec une impatience vite changée en fièvre.
    Certains fourbissent leurs armes secrètes : bouchons plantés de pointes, peut-être lames de rasoir fichées au bout de matraques ou de bâtons, surtout sacs de billes  (18) . C’est cela, la grande originalité de l’affrontement que l’on prépare. Comme on sait que le Palais-Bourbon sera défendu par des gardes mobiles à cheval et que ceux-ci, dans toute émeute, se montrent redoutables, on a eu l’idée d’apporter sur la place des billes en grand nombre qui seront lancées sous les sabots des chevaux. Sur cette opération, deux témoignages précieux m’ont été livrés. D’abord celui de M. J.-B. Pâquet, ancien camelot du roi, qui me révèle qu’« un camelot travaillait à la société SKF, roulements à billes ». L’une des origines de l’approvisionnement nous est donc fournie. De son côté, M. Jean Baron, alors membre des Jeunesses patriotes, me livre des détails particulièrement précis : « À Rouen, où j’avais repris l’usine de mon père, décédé en 1930, je reçus, ce 6 février, un coup de téléphone de Paris me convoquant pour 17 heures place des Ternes, entrée du faubourg Saint-Honoré. Arrivé à l’heure, cet ami de Fénelon m’envoyait garer ma voiture et, revenant au lieu du rendez-vous, me confiait un taxi G7, chargé à bloc de sacs de billes. Il y avait environ dix, douze taxis ainsi chargés. Ordre était de conduire ce véhicule à proximité des fourrés se trouvant dans le bas de l’avenue des Champs-Élysées, à droite et à gauche, et de les vider. En plus des billes, il y avait des frondes comme l’on trouvait dans les magasins de jouets de l’époque. » Nous retrouverons M. Jean Baron.
    Dans l’île de la Cité, place de la République, boulevard Henri-IV, les forces de l’ordre sont prêtes. Les camions noirs de la préfecture ont fait le plein d’essence. Les chevaux des gardes ont reçu leur ration d’avoine. Les cavaliers – casques et capotes sombres – sont prêts à sauter en selle.
     
    Midi. Édouard Daladier, président du Conseil, déjeune chez M. Maulion, sénateur du Morbihan. Vingt-cinq couverts, cinq maîtres d’hôtel, homard à l’américaine et poularde truffée. Vins somptueux. On remarque que Daladier vide souvent son verre.
    À 13 heures, M. Georges Lebecq arrive à l’Élysée où l’a convoqué le président Albert Lebrun. Son neveu, le docteur Augustin Lebecq, m’écrit : « Le président Albert Lebrun avait convoqué d’urgence Georges Lebecq pour le supplier de décommander la manifestation. Mon oncle, inflexible, lui répondit que c’était trop tard. Lebrun, à bout d’arguments et au bord des larmes, saisit la médaille que portait mon oncle à sa chaîne de montre et, agitant celle-ci, chercha à fléchir sa détermination par un argument suprême : “Mais enfin, monsieur Lebecq, rendez-vous compte qu’il est 2 heures et je n’ai pas encore déjeuné !” »
    Ce n’est pas le cas, comme on a vu, du président du Conseil désigné. À 14 h 30, il quitte la rue Copernic pour la Chambre. Quand sa voiture approche du Palais-Bourbon, elle a peine à se frayer le chemin. Ce ne sont que « barrages épais d’agents et de gardes, cordons de cavaliers casqués d’argent, alignement de camions et de cars, patrouilles cyclistes ». Daladier peut malgré tout apercevoir le nouveau préfet de police, Bonnefoy-Sibour, qui inspecte « d’un regard inquiet ses troupes qu’il ne connaît pas ».
    L’hémicycle n’a peut-être jamais connu une telle affluence. Les tribunes sont bondées, tous les députés ont pris place à leur banc. Le président Bouisson vient de s’asseoir à son fauteuil. L’extrême gauche applaudit quand apparaît M. Frot.
    15 heures. M. Daladier monte à la tribune, semblable à lui-même, massif, front buté, regard sombre. Il tient entre ses mains le

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