C'était le XXe siècle T.2
au Pays basque, rares sont les localités assez riches pour s’équiper d’un système d’alerte.
Depuis neuf mois qu’elle se poursuit, la guerre civile d’Espagne a relativement épargné Guernica. Pas un des sept mille habitants de la ville n’ignore cependant qu’elle se rapproche et que les nationalistes – les Basques les appellent des rebelles – se sont jurés de venir à bout de l’irrédentisme de leur province.
Ce jour-là, 26 avril 1937, un marché se tient comme chaque lundi à Guernica. Aux paysans venus pour vendre et acheter, s’ajoutent les nombreux réfugiés : cela fait bien trois mille personnes supplémentaires accueillies dans la petite ville. Trois mille qui, dès les premières volées de cloches, se sont avec les autochtones acheminées en bon ordre vers les caves et les abris aménagés dans la ville depuis le bombardement qui, un mois plus tôt, a écrasé Durango, autre ville basque. Un prêtre énergique canalise la foule vers les refuges. De tels réflexes, en temps de guerre, les civils les acquièrent très vite.
Les imprudents, les négligents, les curieux vont bientôt – très bientôt – regretter de n’avoir pas suivi le mouvement.
Cinq minutes se sont à peine écoulées que, dans le ciel, on entend le grondement d’un avion. D’évidence, un avion lourd. Ceux qui sont restés dehors le voient, à basse altitude, s’approcher. Il est seul. Apparemment sûr de l’impunité, le pilote ne prend aucune précaution. Il se met à décrire un cercle autour de la ville. Il vole si bas que, pour un peu, on distinguerait l’équipage casqué de cuir. Tout à coup, l’enfer se déchaîne. On voit distinctement la soute du bombardier s’ouvrir et un chapelet de bombes glisser vers le sol. Certains les comptent : six. « Elles étaient grosses », diront les survivants. Des grenades viennent « compléter » le travail.
On a cru d’abord que le bombardier viserait la gare. Or, les bombes s’écrasent sur le lycée, sur les maisons et les rues voisines. Les murs s’abattent, des cratères se creusent. Les flammes, en quelques secondes, se tordent. Le bombardier a rempli sa mission. Il s’éloigne.
Ceux qui n’ont pas été touchés s’élancent vers les rues et les maisons bombardées. Des gens se trouvent peut-être emmurés ! Ce geste secourable est brisé sur-le-champ. Dans le ciel, gronde déjà un autre moteur. Le second bombardier ne vole pas plus haut que le premier. À quoi bon, puisqu’il n’y a pas de DCA à Guernica. De nouveau, la soute s’ouvre. De nouveau, des bombes descendent vers le sol. Le même nombre : six. Des grenades, une fois encore, sèment la mort et l’épouvante. Le bombardier, comme son prédécesseur, s’éloigne. Cinq minutes s’écoulent : on attend. Dix minutes : on espère. Un quart d’heure : on se rassure. À la recherche des emmurés, on entame des fouilles hâtives. On tente d’éteindre les brasiers.
Alors, trois nouveaux avions surgissent dans le ciel. Les premiers, on les avait aussitôt reconnus : c’étaient des bombardiers Heinkel 111, des allemands. Ceux-ci, à n’en pas douter, sont des Junkers 52, d’autres allemands. Les hommes qui se sont battus en Espagne les connaissent bien. Les civils aussi. Quelles routes n’ont pas vu piquer ces Junkers 52, si habiles au mitraillage ? Avec leur museau noir, leur train sorti, leur allure trapue, la croix sur le fuselage, leurs quatre ailes, tout le monde les reconnaît.
Dès lors, Heinkel et Junkers vont alterner. Le bombardement ne s’interrompra plus, cependant que son intensité augmentera sans cesse. Il a commencé à 16 h 40. Il ne cessera qu’à 19 h 45.
Quand les derniers appareils allemands disparaissent, Guernica n’existe plus.
L’exposition internationale de 1937 doit drainer le monde à Paris, chaque pays y édifie son pavillon. Une génération entière se souviendra du saisissant face-à-face – sous les terrasses du nouveau palais de Chaillot – des pavillons allemand et soviétique : croix gammée contre faucille et marteau.
Pour assurer le succès du pavillon espagnol, le gouvernement de Madrid a frappé très haut – et très fort : il a demandé une toile à Pablo Picasso. Quoique vivant depuis de longues années en France – où il a trouvé la gloire –, Picasso demeure profondément espagnol. Parmi ceux qui se battent dans son pays, il a choisi le camp républicain. Sans hésitation. Il accepte
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