C'était le XXe siècle T.2
donc aussitôt l’offre qui lui est faite. Sa seule préoccupation vient de ce qu’il ne sait quel sujet traiter. Il cherche et ne trouve pas. Cela dure.
Un matin, ouvrant son journal, il découvre le massacre impitoyable d’une petite ville de son pays, l’anéantissement délibéré d’une population dans le seul but de terroriser. À l’instant, l’Espagnol Pablo Picasso a saisi ses pinceaux. En peignant, il s’est lui-même senti soulevé d’épouvante. Sa toile va en devenir l’admirable reflet. Nul, depuis Goya, n’a si puissamment, si douloureusement évoqué les horreurs de la guerre.
Comment aurait-il pu croire, cependant qu’il s’investissait aussi impérieusement dans son œuvre, qu’une polémique s’était engagée à travers l’Europe ? Le débat se résumait en une seule phrase : les nationalistes avaient-ils vraiment bombardé Guernica ?
Cependant que les foules défileront devant son chef-d’œuvre, Picasso verra le doute s’amplifier peu à peu. Le bombardement ne serait-il pas une légende montée – bien montée – par des républicains espagnols ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, la polémique durera des années. En 1978 encore, une agence de presse soutiendra cette thèse si abondamment répandue de 1937 à 1939.
À aucun moment Picasso ne s’y est montré sensible. La vérité, il l’avait inscrite sur une toile blanche. Son œuvre témoignait et il savait qu’elle témoignerait à jamais.
L’histoire de la destruction de Guernica n’est autre que le signe terrifiant de la nouvelle rupture instaurée sur notre continent. De l’Atlantique à l’Oural, on confirme ses choix. Six ans plus tôt, les Espagnols avaient entamé le processus qui devait fixer le leur. C’est parce qu’ils n’y sont pas parvenus que l’on a détruit Guernica.
Le dimanche 12 avril 1931, les Espagnols votent. Rien de plus que des élections municipales, mais nul ne méconnaît l’importance de l’enjeu. Durant plusieurs années, l’Espagne du roi Alphonse XIII a vécu sous l’emprise d’une semi-dictature, celle du général Primo de Rivera. L’expérience a échoué : le roi a dû renvoyer le général. Pourquoi ne pas revenir à la démocratie ?, Ces élections municipales, Alphonse les regarde comme le test de sa popularité dans le pays.
Or les résultats sont accablants pour le régime. Dans presque toutes les grandes villes, les candidats républicains triomphent. Sur cinquante capitales de province, quarante-cinq se prononcent, à d’écrasantes majorités, contre Alphonse XIII.
Un journaliste anglais voit à Barcelone « les gens s’embrasser dans la rue, chanter La Marseillaise , sortir des drapeaux républicains ». Même spectacle à Madrid. À Barcelone, on proclame la république catalane. Le lendemain, l’agitation redouble. Des cortèges enfiévrés scandent : « Vive la République ! »
C’est alors qu’Alphonse XIII décide d’abdiquer : « Les élections de dimanche montrent que je n’ai plus l’amour de mon peuple. Sans doute pourrais-je trouver le moyen de me maintenir mais au risque d’une guerre civile, et je ne veux pas prendre la responsabilité d’une guerre civile. »
Le soir même, il quitte Madrid pour Carthagène où un bateau de guerre va le conduire à Marseille. C’en est fait, l’Espagne est devenue une république. Un témoin raconte : « L’ingénuité de la foule est touchante. Elle croit que tout, immédiatement, doit s’arranger. Civils, soldats, policiers s’embrassent en public. Dans les auberges, on consomme gratis. Les boutiques et les usines ferment. Les sirènes mugissent sans arrêt (48) » À toutes les fenêtres flottent des drapeaux républicains.
Bref, une révolution en forme de kermesse. Les lampions et les feux de joie vont s’éteindre très vite.
Le gouvernement républicain qui prend le pouvoir est plein de bonnes intentions. Avec détermination, il veut s’attaquer à trois problèmes prioritaires : la réforme agraire, les revendications autonomistes, la question religieuse. On va donc exproprier les grands propriétaires, concéder l’autonomie à la Catalogne et séparer radicalement l’Église de l’État. Sur aucun de ces points, la réussite ne sera au bout de la route. Les critiques abondent qui, trop vite, se transforment en haine. Des clans se créent. La majorité gouvernementale se révèle peu cohérente, d’où une instabilité dangereuse.
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