C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
l’homme confie qu’il est le frère du propriétaire. Le caporal hésite, le laisse passer : évidemment, si c’est le frère du propriétaire… S’il savait qu’il s’agit du propriétaire lui-même !
L’homme pose sa bicyclette contre un mur. Il se dirige vers l’escalier. Celui qui donne accès aux étages. Que va-t-il faire par là ? Le pompier le hèle :
— Non. C’est par là !
Il montre le sous-sol.
L’homme hoche la tête, s’engage dans l’escalier qui conduit à l’horreur. En bas, il sort un mouchoir de sa poche, le porte à son nez, contemple avec une sorte de tranquillité l’affreux spectacle. Il remonte, retrouve le caporal Boudringhin, le prend par le bras, l’entraîne dans un coin, le regarde avec une telle intensité que le pompier se sent mal à l’aise. Dans un souffle, il lance :
— On est entre Français ?…
L’autre a un haut-le-corps :
— Je suppose !
— J’ai été interné par eux … pendant huit mois, par eux , vous avez compris !
Le pompier ne veut rien entendre de plus. Il désigne les deux gardiens de la paix plantés non loin de là. L’homme, que rien ne semble pouvoir désemparer, fait un pas vers Fillion et Teyssier :
— Sachez que ce sont des cadavres d’Allemands et de traîtres. Avez-vous appelé les services de la PJ ?
— Oui.
— Bon. Le temps presse.
Il se penche vers les policiers :
— Je suis chef d’un mouvement de résistance. Je dois faire disparaître trois cents dossiers. Ce qui est en jeu, c’est la vie de beaucoup de patriotes.
Comme l’a fort bien indiqué Marcel Jullian, « pas un instant les deux agents ne songent à mettre en doute ce qu’on leur dit (110) ». En mars 1944, les Français sont prêts à tout croire, à tout admettre : plus une histoire se veut rocambolesque, plus elle paraît vraisemblable . En ce temps-là, une majorité de la police parisienne est moralement ralliée à la Résistance. Qui plus est, le gardien de la paix Teyssier, dit Olive, est l’un des responsables pour le 16 e arrondissement du réseau « Honneur de la police ». M. Marcel Chevillon, officier de police honoraire qui appartenait au même réseau et entretenait des relations d’amitié avec ses deux collègues, m’a livré un témoignage précieux : « Lorsque Petiot a été prévenu du soi-disant incendie, il a présenté à mes deux collègues un bulletin de levée d’écrou de la prison, je pense de la Santé, en leur disant qu’il était membre de l’Intelligence Service. “Olive” lui a donc dit de partir rapidement (111) . » Nous n’avons plus à nous étonner de voir Teyssier et Fillion, passant en trois minutes d’une émotion à une autre, faire ensemble le geste qui indique à l’homme qu’il peut partir. Pensez, un résistant ! Un vrai !
— Filez. On n’a rien vu.
Enfourchant sa bicyclette, l’homme disparaît dans la nuit. Toutes les polices de France vont bientôt rechercher l’abominable docteur Petiot (112) .
L’affaire Petiot côtoie tous les paroxysmes. Elle représente l’aboutissement d’un climat et d’une époque. S’il est vrai que Petiot portait en lui-même toutes les pulsions d’un grand criminel, il lui a fallu, pour aller jusqu’au bout de celles-ci, traverser un temps où la vie et la mort n’avaient plus de sens et pas davantage, pour certains, les principes nés des lois ou des religions. Que Heinrich Himmler, patron d’une industrie de la mort qui mobilise des milliers de bras et de cerveaux, et Marcel Petiot, artisan solitaire de la même mort, aient œuvré à la même époque, soyons assurés que c’est le contraire d’un hasard.
Marcel Petiot naît à Auxerre, le 17 janvier 1897, d’un père fonctionnaire des Postes. À deux ans, on le confie à une brave femme, l’Henriette comme on l’appelle. Un charmant bambin, le petit Marcel. Il caresse le visage de l’Henriette de ses mains potelées et, tout à coup, la pince jusqu’au sang.
Son premier jouet ? Un petit chat pour lequel il se prend d’une passion farouche. Ce qui ne l’empêche pas de se livrer à d’étranges expériences. Par exemple, tenant le chat par la peau du cou, il lui plonge les pattes de derrière dans l’eau bouillante. Le soir du même jour, il exige d’emporter le chat dans son lit pour dormir avec lui. Le lendemain matin, l’Henriette trouvera Marcel riant aux anges et serrant dans ses bras le cadavre du chat qu’il a
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