C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
bon docteur Petiot. N’offre-t-il pas des consultations gratuites aux indigents ? Ne vaccine-t-il pas les enfants sans exiger d’honoraires ? On recherche son amitié, on l’invite. Ceux qui l’ont reçu découvrent souvent que quelque chose a disparu : un livre, une fourchette, un cendrier. Il faudra du temps pour que les victimes osent imaginer que le bon docteur est à l’origine de ces « emprunts ». Tout cela est sans valeur. Si Petiot vole, c’est pour le principe.
Il est célibataire. Bientôt ses voisins confient, avec le clin d’œil de rigueur, qu’il vient d’engager comme servante une belle fille d’un peu plus de vingt ans. Aucun doute, Louisette est la maîtresse du docteur. Quand elle lui annonce qu’elle est enceinte, le docteur Petiot la rassure : « Je vais arranger ça. » À quelque temps de là, Louisette disparaît. Certains s’étonnent. Sur un ton léger, Petiot explique qu’elle est partie et que, sûrement, on ne la reverra jamais.
Pourquoi, à la hâte, a-t-il éprouvé le besoin, en quelques heures, de cimenter le sol de son garage ? Personne ne parlera plus de Louisette.
Au reste, Petiot a décidé de faire de la politique. À René Nézondet, il déclare :
— Dans la vie, pour réussir, il faut posséder de la fortune, ou jouir d’une situation élevée. Il faut dominer ceux qui, sans cela, pourraient vous causer des tracas et leur imposer votre volonté.
Aux élections municipales, il se présente sous l’étiquette socialiste. Il entre au Conseil avec 800 voix sur 1 000. À vingt-huit ans, il estime le temps venu de mettre fin à son célibat. L’élue est une jeune fille charmante, Georgette Lablais – vingt-trois ans –, dont le père, ancien charcutier à Auxerre, a réussi à Paris dans la restauration. Chaque fois désormais que Petiot se rend dans la capitale, il retrouve, rue de Bourgogne, dans le restaurant de son beau-père, des députés, voire des ministres. Des noms qu’il ne sera pas inutile de citer à ses électeurs.
Il a trente ans quand il devient maire de Villeneuve-sur-Yonne. Bouillonnant d’idées, il semble ne pas tenir en place. On pense à ce mouvement perpétuel qu’il voulait naguère inventer. Sa distraction : collectionner non seulement des ouvrages licencieux en grand nombre mais aussi une série de bocaux contenant des sexes d’hommes et de femmes.
Le bruit court avec beaucoup d’insistance, à Ville-neuve-sur-Yonne, qu’il pratique des avortements. II hausse les épaules et grince :
— Ragots de la curaille.
À la même époque, la laiterie de la ville flambe. Au milieu des décombres, on retrouve le cadavre de l’épouse du laitier, Mme Debauve. Elle porte sur la tête une profonde blessure. L’a-t-on tuée pour la voler ? On le croit jusqu’au moment où l’on retrouve chez elle, dans un tiroir, 230 000 francs. Quand on affirme devant le cabaretier Frascot que l’on ne saura jamais qui a tué, il prend des airs mystérieux. Si l’on insiste, il confie que, peu de temps avant l’incendie, il a vu entrer Petiot dans la maison. Assurément, le juge d’instruction voudra entendre le cabaretier. À quelques jours de là, Petiot croise Frascot et constate qu’il boite. Il s’apitoie :
— Venez avec moi, je vais vous faire une piqûre.
Frascot accepte. Trois heures plus tard, rentré chez lui, il est pris d’un malaise. Il meurt. En tant que médecin de l’état civil, il appartient à Petiot de délivrer un constat et le permis d’inhumer : « rupture d’anévrisme ».
À Villeneuve-sur-Yonne, Petiot défraie décidément la chronique. Pour avoir gonflé ses déclarations d’assistance médicale gratuite, il comparaît en justice : trois mois de prison avec sursis. Convaincu d’avoir détourné l’argent des cartes d’étranger, il est révoqué pour un mois de ses fonctions de maire par décret préfectoral. Autour de lui, le conseil municipal fait bloc. Aux élections qui suivent, Petiot est réélu ! En 1931, il ira même siéger au conseil général. La carrière de cet homme ressemble à une provocation qui ne connaît pas de relâche.
À-t-il senti le vent du boulet ? Point du tout. La croix du cimetière disparaît. Plusieurs indices donnent à penser que Petiot a fait le coup. En 1935, il emporte chez lui le coffre-fort de la mairie. On ne le reverra pas. Nouvelle condamnation : 100 francs d’amende et quinze jours de prison avec sursis pour vol
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