C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
nécessité vis-à-vis d’un « collaborateur » – dans tous les sens du mot – qui promet de n’être pas commode.
Le raisonnement de Lafont se révèle parfaitement symétrique, mais a contrario : si ses employeurs allemands le lâchaient, il serait un homme fini. Pour éviter une telle éventualité, une solution, une seule : les compromettre si complètement qu’il leur deviendra impossible de se passer de lui. Lafont va donc s’appliquer à mêler à son « entreprise » tous les chefs allemands qui l’utiliseront. Il leur verse ou fait verser des commissions considérables ou remettre des « cadeaux » dont il gardera soigneusement la trace. Ainsi va croître sa puissance. Il en arrivera à dicter ses ordres à ceux qui, dans la hiérarchie nazie en France, occupent les postes clés. L’ex-petit truand va faire trembler des lieutenants de Hitler.
Dès la fin de juillet 1940, l’organisation a pris sa vitesse de croisière. Un problème se pose rapidement : Lafont a besoin d’hommes de confiance qui soient prêts à tout. Où les trouver ? Au fil de ses passages dans les prisons françaises, il a connu un certain nombre de malfaiteurs dont il sait que le dévouement – à la vie comme à la mort – pourrait lui être acquis. La solution est là.
C’est alors que se déroule la scène de la prison de Fresnes dont on s’étonne qu’elle n’ait pas inspiré un réalisateur de films rétro. Sur les vingt-sept détenus libérés par Lafont, aucun ne refuse ses offres de service. Lafont s’est montré explicite : au service des Allemands, il y a du fric à gagner. Beaucoup. Ce n’est pas le patriotisme qui étouffe ces truands. Ils ne demandent qu’à se mettre « au travail ».
Dicter ses ordres à un directeur de prison, obtenir la libération des prisonniers qu’il a lui-même choisis : Henri Lafont a-t-il rêvé ? Nullement. Au soir de ce jour mémorable, sa bande – c’en est une – est formée. À chacun de ses hommes, il a lancé :
— Tu m’appelleras Patron.
Quelques jours plus tard, un rapport est rédigé par Brandl et Radecke : « Lafont, homme efficace, dévoué totalement à la cause allemande, doué d’une grande vitalité et d’une habileté incontestable, mérite une promotion rapide. » Réponse : sous le matricule 6474 R, Lafont est intégré dans la police allemande.
Est-ce donc que, désormais, tout lui soit permis ? Il l’a cru. Erreur. Radecke et Brandl ont un chef, le colonel Reile, alias Rudolph. Déjà il a mis en garde ses subordonnés. Homme strict, Reile n’apprécie pas que l’on donne tant d’importance à un repris de justice. Comme Radecke et Brandl, arguant de l’efficacité, ont insisté, il a laissé faire. Sans joie. Quand il apprend la libération des vingt-sept détenus de la prison de Fresnes, sa colère gronde. Il ordonne au capitaine Schaeffer d’arrêter Lafont. Affolé, Radecke prévient son ami qui prend la fuite non sans avoir mis à l’abri Stocklin et Ernst, ses compagnons du camp de Cepoy. Protégés eux aussi de Radecke, ils sont exposés à la même vindicte.
Ce jour-là, Lafont fait d’une pierre deux coups : il préserve sa liberté, peut-être sa vie, et compromet Radecke. Son éternelle tactique.
Lafont n’en reste pas moins un homme traqué. Radecke – encore lui – va lui fournir l’argument grâce auquel il pourra rentrer en grâce auprès du colonel Reile. L’Abwehr recherche activement l’un des chefs de la résistance antinazie, le Belge Lambrecht. On suppose que l’homme s’est réfugié dans le Sud-Ouest. On ne sait rien de plus.
— Un gros morceau, a dit Radecke. Si tu arrives à le dénicher, tout te sera pardonné.
Lafont sait qu’il doit retrouver Lambrecht. Aucune haine ne l’anime à l’égard de cet homme qu’il ne connaît pas. Pour Lafont, il n’y aura jamais de guerre idéologique. Il avance des pions sur un échiquier, rien de plus. Lambrecht en est un. La vie de Lambrecht contre – pour lui – la fortune et la puissance ? Il trouve ce donnant donnant parfaitement équilibré. D’ailleurs, est-ce que cela compte, la vie humaine ?
Le Sud-Ouest, a dit Radecke. Lafont se précipite à Bordeaux. Quelques nuits de beuverie dans les bars de la ville lui permettent de nouer des contacts. Un policier ivre mort lâche le morceau : Lambrecht se cache à Toulouse. Il livre même l’adresse.
Lafont rentre à Paris, informe Radecke et Otto Brandl
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