C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Marseille, il achète une camionnette d’occasion et se fait transporteur. Un jour, on lui confie une voiture à dépanner. Comble de malchance : il s’agit d’une automobile volée. Les gendarmes la retrouvent chez Lafont. Malgré ses protestations, il passe en correctionnelle. Deux ans de prison, assortis de dix ans d’interdiction de séjour. Son avocat à Marseille, M e Escoffier, affirme : « J’ai la conviction absolue qu’il était tout à fait innocent. J’ai la certitude que la peine de deux ans qui l’a frappé était due à ses antécédents. C’est la fatalité. »
Il accomplit sa peine, se retrouve libre mais interdit de séjour. Maître Floriot commentera : « Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est, l’interdiction de séjour, dans la vie d’un homme. Une chose atroce. Interdiction de fréquenter les villes et les grands centres, et aussi tentation, toujours renouvelée, d’y aller quand même. Alors, c’est la cascade des condamnations. Car, à propos de tout, à propos de rien, d’une rafle, d’une vérification dans un hôtel, c’est l’arrestation, la condamnation automatique. Dans ces conditions, Lafont va mener une vie misérable, vivant sous un faux nom, travaillant clandestinement, en marge, au ban de la société. Il s’était marié, et ce mariage eut lieu dans la maison d’arrêt d’Aix-en-Provence. Il n’avait plus qu’un ami dans la vie, un seul soutien : son avocat de Marseille, et c’est lui qui a servi de témoin au marié. »
Il se fixe à Saint-Jean-de-Maurienne. Il travaille. Un semblant de paix, peut-être l’espoir d’un avenir meilleur. Pour rejoindre un autre homme, sa femme vole 2 000 fraies dans la caisse du magasin qui l’emploie. C’est le mari que l’on arrête. Pour les magistrats, il s’agit d’un repris de justice, par conséquent capable de tout. On prononce contre lui une condamnation accompagnée de relégation. Cela veut dire le bagne. Lafont ne veut pas finir ses jours à Cayenne. Il s’évade, se cache. Il est devenu un révolté.
Quand la guerre éclate, il croit pouvoir revivre. S’il choisit de se faire trouer la peau pour son pays, lui demandera-t-on des références ? Il s’engage. On lui réclame ses papiers :
— Je reviendrai ce soir.
Le soir, ce sont deux gendarmes qui l’attendent. Il s’enfuit, s’engage dans une brigade appelée « les volontaires de la mort » où l’on préfère fermer les yeux sur le passé des recrutés. Deux mois plus tard, la brigade est dissoute. Il erre sur le pavé de Paris où on l’arrête pour insoumission. En juin 1940, lorsque la Wehrmacht approche de Paris, on l’évacue de la prison du Cherche-Midi sur le camp de Cepoy. Il y trouve de tout, y compris des Allemands internés lors de la déclaration de guerre. Il fait la connaissance de deux d’entre eux et d’un Suisse, Max Stocklin. Surprise : les trois hommes appartiennent à l’Abwehr, service de renseignements et d’espionnage de la Wehrmacht. Ils aident Lafont à prendre avec eux la poudre d’escampette et lui donnent rendez-vous à Paris, hôtel Lutétia, où s’installent déjà les services allemands.
Lafont expliquera :
— Tout cela est l’effet du hasard. Mettez-vous à ma place. Je me retrouve le cul nu et les mains vides, traînant derrière moi un sacré paquet de condamnations… Que faire ? Mes copains ? Évanouis, disparus sans laisser de trace. Trouver une situation ?… Personne n’y pensait à l’époque. Alors, je me suis débrouillé comme j’ai pu.
Dès cette époque, les Allemands mettent en place des bureaux d’achat chargés de négocier tout ce qui se révélera disponible sur le marché français. Le raisonnement de Lafont est simple :
— Ça, c’est un bon coup à ne pas rater. Moi, je vais leur acheter n’importe quoi, tout ce qu’ils veulent, les Fritz.
Plus tard, il affirmera qu’il aurait tout aussi bien, à cette époque, rejoint un réseau de Résistance :
— Et qu’est-ce que je serais devenu maintenant ? Eh bien, tout simplement, un héros ! Et j’aurais pas fait de cadeau aux Fritz. J’aurais foncé comme un dingue, comme un forcené, à fond. Seulement, voilà, en juillet et en août 1940, des résistants, j’en ai pas connu, pas vu la couleur. Je ne savais même pas ce que c’était. Ça tient à rien, la vie et le destin d’un homme : un truc comme rien, un petit hasard. Une histoire d’aiguillage. Ou alors, c’est la
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