C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
kiosque, on ne découvre aucune autre habitation.
Nonchalamment, Kenet s’approche. Devant l’entrée de la maison, il aperçoit une femme corpulente d’une cinquantaine d’années. Un petit garçon joue à côté d’elle. Kenet pense – à juste titre – qu’il s’agit de Vera Eichmann et de son plus jeune fils.
Ainsi va commencer ce que l’on peut appeler la longue traque. Au cours des jours suivants, Kenet – et l’un ou l’autre de ses collaborateurs bénévoles – reviendront surveiller la maison. Ils la photographieront sans qu’aucun des habitants remarque quoi que ce soit. Le 16 mars, ils vont plus loin. Voyant sortir une fort agréable jeune femme, ils l’interrogent : la demeure est-elle à vendre ? Ils se présentent comme représentants d’une firme américaine, ayant l’intention d’installer une usine dans le voisinage. La jeune femme répond que la maison appartient à sa belle-mère et qu’elle n’est pas à vendre.
Kenet attend avec impatience la date du 21 mars. Car, jusque-là, on n’a pas aperçu le soi-disant Ricardo Klement. Or Eichmann s’est marié un 21 mars. Le dossier montre qu’il n’a jamais manqué de souhaiter cet anniversaire à sa femme. À Pedro, Dieter Eichmann a dit que son père était à Tucuman, « pour affaires ». S’il s’agit bien d’Eichmann, il semble plus que probable qu’il reviendra pour le 21 mars.
On observe toujours la maison, on continue de la photographier. L’un des collaborateurs de Kenet, fouillant dans les Archives municipales, découvre que le lotissement n° 14 – là où s’élève la maison – a été enregistré au nom de Veronica Catarina Liebl de Fichmann, 4261, rue Chacabuco, Olivos. Fichmann au lieu d’Eichmann : ficelle un peu grosse. L’important est que ce document permet d’associer le nom de Vera Liebl à celui d’Eichmann. Preuve que Vera n’est pas remariée à un autre homme. Preuve que Klement est bien Eichmann .
Le 19 mars, Kenet et l’un de ses collaborateurs, David, passent une fois de plus en voiture devant la maison. Vers 14 heures, ils aperçoivent un homme en tenue négligée, « de taille moyenne, au front haut et dégarni », qui dépend du linge dans le jardin. Kenet tente de le photographier, n’y parvient pas. Mais tous ses derniers doutes sont dissipés. Rapport de Kenet à Harel : « Dans la maison de la femme d’Eichmann nous avons vu aujourd’hui un homme qui correspond à la description d’Adolf Eichmann. J’avais toujours pensé que si Ricardo Klement était Adolf Eichmann, il essaierait de revenir de Tucuman avant ses noces d’argent, qui doivent avoir lieu après-demain. Comme Klement est effectivement revenu au moment attendu, il n’y a plus de doute qu’il soit Eichmann. »
Le dimanche 20 mars 1960, Kenet loue un camion et en confie la conduite à son collaborateur Primo. Lui, il se cache sous la bâche. Le camion s’arrête à 150 mètres environ de la maison. Ostensiblement, Primo s’en va acheter des sandwiches au kiosque voisin. Tapi sous la bâche dans laquelle il a ménagé un orifice, Kenet observe la maison à la jumelle. Avec quelle intensité ! Vers 11 h 45, paraît l’homme qu’il a vu la veille, cette fois fort bien vêtu, « avec un pantalon brun clair, un pardessus gris, une cravate vert uni et des chaussures marron ». Kenet estime qu’il doit mesurer 1,70 m. Il note encore : « À moitié chauve, cheveux blonds sur les côtés du crâne, nez fort, front large, lunettes, peut-être une moustache, démarche lente. » Tout cela correspond à ce qu’il sait d’Eichmann.
Ce qu’il remarque aussi, c’est que la maison donne sur une ruelle, à une trentaine de mètres de la route 202 : la rue Garibaldi.
Kenet reviendra encore les 21 et 22 mars. Et encore les jours suivants. Il continue à prendre des photos. Je les ai vues, sorties pour la première fois des archives israéliennes. Toutes prises en dissimulant l’appareil – parfois dans une valise ou un sac munis d’un trou. Pour la plupart mal cadrées, de guingois, floues, elles trahissent la gêne, la hâte, la fièvre. Quels documents ! Kenet veut absolument obtenir une image de l’homme en gros plan. Le 3 avril, il croit y être parvenu.
Le 4, il reçoit un message d’Israël : « En vue d’établir un rapport complet pour planifier l’opération en détail et décider des différentes étapes à suivre, nous vous prions de rentrer aussitôt que
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