C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

possible. »
    Avant de quitter l’Argentine, Kenet fait développer ses photos. Trois au moins sont réussies. Le 7 avril, il s’envole pour l’Europe. C’est dans l’avion de Paris à Tel-Aviv que Isser Harel le retrouve. Anxieux, il interroge :
    — Êtes-vous certain qu’il est l’homme que nous cherchons ?
    Pour toute réponse, Kenet lui tend une photographie :
    — Voyez. Il n’y a pas l’ombre d’un doute.
     
    On est donc sûr d’avoir retrouvé Eichmann. L’essentiel reste à faire : il faut, à I’insu des autorités argentines, l’enlever. Après quoi, toujours en secret, le transporter en Israël. A priori , un plan quasi impossible à exécuter.
    Pendant plusieurs jours, Harel médite. Le plus aisé à réaliser est l’enlèvement. Le plus épineux : le transport. Le voyage par mer est exclu. Trop d’escales dans des ports étrangers. Ne reste que la voie aérienne. Certes, mais quelle compagnie accepterait de recevoir, sans méfiance, un passager – qu’il faudra droguer – conduit là contre sa volonté ?
    Un matin, en ouvrant le journal, Harel découvre que l’Argentine va fêter, à la fin du mois de mai 1960, le cent cinquantième anniversaire de son indépendance. À ces fêtes qui promettent d’être grandioses, Israël est invité. Déjà son ministre des Affaires étrangères a annoncé qu’une délégation de haut rang serait envoyée en Argentine. Harel lit et relit l’article qu’il a sous les yeux. Il pressent qu’il vient de découvrir la solution. Ne pourrait-on pas prévoir un vol spécial, l’envoi d’un avion israélien où prendrait place la délégation ? Au retour, on pourrait y transporter Adolf Eichmann, capturé et mis hors d’état de nuire.
    Harel sait qu’il joue gros jeu. L’une après l’autre, il hasarde ses cartes. En premier lieu – sans parler une seule fois d’Eichmann – il obtient des Affaires étrangères le principe d’un vol spécial. Après quoi il convainc le directeur de la compagnie israélienne de soustraire un appareil des vols réguliers pour l’envoyer en Argentine.
    La date du vol est fixée au 11 mai. Isser Harel a décidé de prendre lui-même la direction de l’équipe qui enlèvera Eichmann. Un commando trié sur le volet : d’abord, Menashe Talmi, choisi pour sa grande connaissance de l’Argentine. Ensuite, un peintre de réel talent, Shalom Dani, peut-être le premier faussaire de son temps. On aura besoin de lui pour les faux papiers dont l’utilité et la nécessité ne manqueront pas de se faire sentir. Harel ne voulant que superviser l’opération, il va nommer Bagi Eldad chef de groupe, un dur, ancien de la Hagana. Les autres : Yossef Kenet – bien sûr –, Ehud Revivi, Eli Yuval, Zev Zeren, Ezra Eshet. Quand on leur a annoncé qu’il s’agit d’arrêter Eichmann, ils manifestent tous le même enthousiasme. Au dernier moment, Harel va embaucher deux agents – Yitzhak Nesher et Dina Ron, une femme. Il les prévient qu’ils devront passer pour un couple marié et vivre comme tels dans la maison où l’on se propose de conduire Eichmann après son enlèvement. La fiction de ce couple doit rassurer les voisins… Un médecin, dernier engagé, aura pour rôle de droguer Eichmann aux différents stades de l’opération et de veiller à la santé de l’équipe.
    Reste à mettre au point un calendrier rigoureux. C’est le 12 mai que l’avion doit atterrir à Buenos Aires. La délégation israélienne ne pouvant s’éterniser dans la capitale argentine, il est prévu que l’avion repartira le 13 ou le 14. À la rigueur, en arguant d’ennuis techniques, on pourra retarder un peu son départ mais pas plus d’une journée. Conclusion : il faudra capturer Eichmann avant le 11 mai, quelques jours plus tôt si possible.
    Chaque agent est en possession de son billet d’avion. Rien n’a été laissé au hasard. Les uns et les autres – séparément – vont pouvoir s’envoler pour l’Argentine.
     
    Le 22 avril, Menashe Talmi arrive le premier à Buenos Aires. Les autres suivront. Chacun d’eux va descendre dans un hôtel différent.
    Kenet parvient, le 25 avril, dans la capitale argentine. Sa tâche : guider l’équipe jusqu’à la maison si soigneusement repérée et identifier Ricardo Klement dès que celui-ci sera entre les mains du commando. Le 26 avril, à 18 heures, deux des membres de l’équipe prennent place dans la voiture qu’il conduit lui-même. On roule jusqu’à la