C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
hommes roulent à terre. Klement pousse un cri effrayant, « telle une bête prise au piège ». L’agent Zev accourt, lui saisit les jambes. Impossible à Klement de bouger.
Gabi se jette hors de la voiture, saisit Klement par le poignet, le tire, cependant qu’Eli et Zev le poussent. Quelques secondes plus tard c’est, à l’arrière de l’automobile, l’incroyable entassement de quatre hommes entremêlés : Gabi, Eli, Zev – et Klement. Zev lâche prise, enjambe le dossier, s’assoit à l’avant. Kenet, qui a sauté dehors, rabattu le capot, regagne son siège au volant. Il démarre. L’affaire n’a pas duré plus d’une minute.
Ehud, au volant de l’autre voiture, a – conformément au plan prévu – démarré en trombe, rejoint la voiture conduite par Kenet et l’a dépassée.
Avec des gestes précis, calculés soigneusement, Gabi et Eli ont bâillonné Klement, l’ont ligoté, lui ont placé des lunettes opaques sur les yeux, l’ont poussé au sol et recouvert d’une couverture.
En allemand, Kenet dit seulement au prisonnier :
— Si vous ne vous tenez pas tranquille, on vous abat.
20 h 55. Les deux voitures pénètrent dans le jardin de Tira dont les grilles ont été laissées grandes ouvertes. La première se glisse dans le garage. On en extrait Eichmann que l’on porte jusqu’à la chambre préparée pour lui. On l’allonge sur un sommier métallique, on attache une de ses jambes au cadre. On lui ôte ses autres liens ainsi que son bâillon. On le déshabille, on le revêt d’un pyjama. L’homme, accablé, se laisse faire. Dans ses yeux, ne se lisent que panique et impuissance.
Kenet procède à un bref interrogatoire. Le prisonnier répond sans se faire prier. Tour de tête, taille des vêtements, pointure, tout correspond au signalement d’Eichmann.
— Et quel était votre numéro de carte de membre du parti national-socialiste ?
— 889895.
C’est le numéro d’Eichmann.
— Vos numéros de SS étaient-ils 45326 et 63752 ?
— Oui.
— Alors, dites-moi votre nom !
— Mon nom est Adolf Eichmann.
Quelques heures plus tard, un message partira pour Israël : Mission accomplie .
À Tira , on va surveiller Eichmann vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les hommes se relaient toutes les trois heures. Jamais on n’éteint la lumière électrique. Eichmann se révèle un prisonnier modèle, obéissant au doigt et à l’œil à tout ce qu’on lui dit. La terreur des premiers instants a disparu. Elle a fait place à quelque chose qui ressemble à de la résignation. Il mange de bon appétit les repas que lui porte Dina : soupe au poulet, poulet bouilli, œufs à la coque ou omelettes, purées.
Chaque fois qu’on l’interroge, Eichmann répond avec le même empressement, visiblement sans rien chercher à cacher. Il raconte que, prisonnier des Américains après la capitulation, il s’est évadé, qu’il est devenu bûcheron dans la province de Celle, en Allemagne. Ceci pendant plus de quatre ans. Alors, il a entendu parler d’organisations qui aidaient les gens comme lui à fuir l’Allemagne. Au début de 1950, il a pris contact avec l’une d’elles. On l’a fait passer en Italie. Un moine franciscain de Gênes lui a procuré un passeport de réfugié au nom de Ricardo Klement et un visa pour l’Argentine. À la mi-juillet 1950, il est arrivé à Buenos Aires. Deux ans plus tard, sa femme et ses enfants l’ont rejoint. C’est tout simple.
Le plan prévoit que l’un des agents – un bénévole nommé Rafaël – se fera admettre à l’hôpital en déclarant qu’à la suite d’un accident de voiture, il souffre d’un traumatisme crânien. Ayant réellement été accidenté l’année précédente, il pourra parfaitement en décrire les symptômes. On le prend très au sérieux, on le garde à l’hôpital, on le met en observation. Le but de la supercherie : obtenir un certificat médical précisant que Rafaël a été soigné pour traumatisme crânien, qu’il va mieux, mais que son état nécessite des soins. C’est de ce certificat que sera muni Eichmann au moment où on le transportera dans l’avion.
Le 19 mai, l’avion spécial israélien atterrit à l’aéroport de Buenos Aires. Tapis rouge, fanfare, drapeaux, discours. On fixe l’heure du départ au lendemain, 20 mai 1960. À minuit.
La dernière nuit à Tira . Le 20 mai, Rafaël reçoit son certificat et sort de l’hôpital. Eichmann a fort bien dormi. On
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