C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
Khrouchtchev, d’une visite officielle que je fis en Bulgarie et pendant laquelle je ne cessai de tourner et de retourner dans ma tête la même question : qu’arrivera-t-il si nous perdons Cuba ? Ce serait, je le savais, un coup terrible pour le mouvement marxiste-léniniste. Nous en sortirions diminués aux yeux du monde entier, et plus particulièrement en Amérique latine. »
Soudain, en Bulgarie, l’idée s’est imposée à lui. Ce qu’il fallait, c’était installer des fusées à tête nucléaire à Cuba et le faire clandestinement afin que les Américains l’apprennent trop tard pour faire quoi que ce soit . Il faut lire avec une extrême attention le raisonnement de Khrouchtchev ; il mêle le cynisme à la sincérité : « Si nous installions les fusées secrètement et si nous faisions en sorte que les Américains ignorent leur existence jusqu’au moment où elles seraient opérationnelles, ils y réfléchiraient à deux fois avant d’essayer d’anéantir militairement nos installations. Je savais que les États-Unis avaient les moyens de les détruire en partie, mais en partie seulement : qu’un quart de nos fusées leur échappe, ou un dixième, ou simplement un ou deux gros missiles, et ce serait assez pour réduire New York à sa plus simple expression. Je ne dis pas que tous les habitants de New York auraient été tués, bien sûr, mais il est certain qu’un grand nombre de gens pouvaient être rayés de la surface de la terre. Combien au juste, je l’ignore. Je laisse cela à nos savants et à notre personnel militaire. Ils sont des spécialistes en matière de guerre nucléaire et savent calculer les conséquences d’une attaque de fusées sur une ville comme New York. Mais là n’est pas la question. L’essentiel, pour moi, c’était cette idée que la présence de fusées soviétiques à Cuba dissuaderait les Américains de pouvoir lancer une attaque-surprise contre Cuba pour abattre Fidel Castro et son régime. En outre, tout en protégeant Cuba, nos fusées rétabliraient ce que les Occidentaux se plaisent à appeler l’équilibre des forces . Les Américains avaient entouré notre pays de bases militaires, ils nous tenaient en permanence sous la menace de leurs armes nucléaires. Ils allaient savoir ce que l’on ressent quand on sait que des fusées ennemies sont pointées sur vous ; nous ne faisions jamais que leur rendre – en plus petit – la politesse. »
Comme on comprend les experts qui, ayant bien connu Khrouchtchev, retrouvaient dans le style d’un tel texte l’expression même de sa personnalité ! On décèle ici une verdeur et l’alacrité dont celui qui avait mis fin au mythe de Staline était littéralement imprégné.
Le raisonnement se soutient. Avec une faille cependant, et quelle faille ! Khrouchtchev avait-il mésestimé le risque de guerre mondiale auquel son initiative pouvait conduire ? Il s’en est défendu : « Je tiens beaucoup à ce qu’on comprenne ceci : en installant nos fusées à Cuba, nous n’avions pas la moindre envie de déclencher une guerre. Notre principal objectif, au contraire, était de dissuader l’Amérique de l’entreprendre elle-même. Nous étions parfaitement conscients du fait qu’un pareil conflit ne pourrait pas se limiter à Cuba mais se transformerait vite en guerre mondiale. N’importe quel imbécile aurait pu déclencher une guerre entre Cuba et l’Amérique. Cuba était à onze mille kilomètres de l’Union soviétique ; seul un idiot aurait pu croire que nous avions l’intention d’envahir le continent américain à partir de Cuba. Nous voulions exactement le contraire : empêcher les Américains d’envahir Cuba, et nous pensions que la présence de nos fusées les ferait réfléchir. Nous avons atteint notre but, après avoir traversé, il est vrai, une phase de dangereuse tension. »
Dangereuse est un mot trop faible. Nous pouvons croire Khrouchtchev sur parole quand il affirme qu’il n’avait aucune envie de déclencher une guerre, mais nous avons du mal à admettre sa sincérité quand il tente de nous persuader qu’en installant des fusées à Cuba il n’avait pas calculé les risques d’une telle guerre.
Quand Khrouchtchev met en avant la défense de Cuba, peut-il nous convaincre ? Au cours d’une interview accordée à Claude Julien, du Monde , et dans un discours prononcé le 13 mars 1965, Fidel Castro déclarera sans ambages que des fusées lui avaient été
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