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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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général Carroll. Il n’est pas nécessaire d’être doté d’une vive imagination pour évoquer les regards que les trois hommes ont dû échanger ce soir-là.
    La seconde personnalité avertie dans la soirée par le général Carter est McGeorge Bundy, conseiller spécial du président des États-Unis pour les affaires de sécurité nationale. Par une malchance insigne, ce dernier a été, la veille, interrogé à la télévision par deux journalistes sur les installations militaires soviétiques à Cuba :
    — Est-il impossible, a demandé l’un d’eux, je veux dire tout à fait impossible, que ce matériel russe se transforme pratiquement du jour au lendemain en armement offensif ?
    Réponse de Bundy :
    — À ma connaissance, il n’existe pour l’instant aucune preuve et, à mon sens, il est peu probable que les gouvernements cubain et soviétique aient l’intention de créer à Cuba une base dotée d’un puissant armement offensif.
    Quand Bundy a reçu, ce soir-là, à 20 h 30, la nouvelle de la découverte de bases de lancement de missiles cubains, il n’en a pas cru ses oreilles. Un long moment, il est resté accablé. Un effort considérable lui a permis de se ressaisir : il offre un dîner chez lui et, avant toute chose, il faut faire bonne figure à ses hôtes.
    Tout se passe bien. Les invités sont partis. Bundy s’interroge : informera-t-il sur-le-champ le président ? Il sait que Kennedy, jeté à fond dans la campagne électorale, a prononcé dans la journée deux discours, l’un à Niagara Falls, l’autre à New York et qu’il n’a regagné la Maison-Blanche qu’à 2 heures du matin. Mieux que personne, Bundy sait que Kennedy demandera à voir les photos. Leur examen prendra peut-être toute la nuit. Sans doute le président voudra-t-il réunir le gouvernement. Cela obligera les ministres à quitter les dîners auxquels ils participent. Tout Washington – la ville la plus cancanière du monde – saura une heure plus tard qu’il se passe « quelque chose ». Bundy décide de laisser le président se reposer. Il en a besoin : de jour et de nuit d’affreuses douleurs dorsales le tenaillent. Seules de longues séances de natation en piscine le soulagent un peu. Pour l’épreuve qui l’attend, Kennedy doit garder toutes ses forces  (124) .
     
    On dîne beaucoup ce soir-là, à Washington. Au département d’État, Dean Rusk offre un repas en l’honneur de son collègue allemand Gerhard Schroeder. Le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Nitze, figure parmi les invités. Au milieu du dîner, on appelle Rusk au téléphone. Il s’excuse, quitte la table. Hilsman lui annonce la nouvelle :
    — À votre avis, demande Rusk, ça y est, cette fois ?
    — Pour l’instant, répond Hilsman, les experts n’ont procédé qu’à une analyse préliminaire des photos. Cependant, d’après ce que j’ai pu apprendre au téléphone, il semble difficile de conserver un doute.
    C’est un Rusk souriant qui regagne la table. Il présente derechef ses excuses à ses hôtes et reprend la conversation distinguée en usage dans les milieux diplomatiques. Plus tard, dans la soirée, il va mettre au courant Paul Nitze en l’entraînant sur la terrasse qui domine le monument de Lincoln. Les deux hommes s’entretiennent à voix basse. Ni l’un ni l’autre ne peuvent l’ignorer : dès que l’éventualité de missiles soviétiques à Cuba a été envisagée, le président a déclaré qu’en aucun cas les États-Unis n’admettraient une telle situation. Pour y faire face, le Pentagone a préparé deux plans d’urgence : soit l’invasion immédiate de l’île, soit la destruction des missiles par attaque aérienne. L’une et l’autre des éventualités signifient la guerre. La Troisième Guerre mondiale. Elle sera nucléaire.
     
    Assis sur le bord de son lit – pyjama et robe de chambre, cheveux en broussaille –, John Fitzgerald Kennedy achève de prendre son petit déjeuner en lisant les journaux. Adepte d’une méthode de lecture rapide, il absorbe en cinq minutes le contenu d’un journal entier. McGeorge Bundy entre dans sa chambre. Comme à son habitude, après un salut de bienvenue, le président commence à toute allure à commenter les nouvelles. Bundy l’interromp :
    — Monsieur le président, nous avons maintenant des preuves incontestables – des photographies que vous verrez tout à l’heure – de la présence de fusées stratégiques soviétiques

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