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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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immédiate. Tel est le point de vue du général Curtis LeMay, chef d’état-major de l’armée de l’air. Le président lui demandant ce que serait, à son avis, la riposte des Russes, le général LeMay affirme, avec une conviction admirable, qu’il n’y aura pas de réaction. Ce qui lui attire cette réponse assez vive :
    — Ils ne peuvent, pas plus que nous, laisser aller les choses sans réagir. Après toutes leurs déclarations, ils ne peuvent pas nous permettre de détruire leurs engins, de tuer pas mal de Russes et, là-dessus, ne rien faire. S’ils n’agissent pas à Cuba, ils agiront alors à Berlin.
    Le général David M. Shoup, qui commande les Marines , se permet une exclamation toute militaire :
    — Vous êtes dans un sale pétrin, monsieur le président !
    Réplique de JFK :
    — Vous y êtes avec moi !
    On rit. Ce qui soulage les nerfs de tout le monde, mais on n’a toujours rien décidé.
    Un peu plus tard dans la journée, le secrétaire à la Défense McNamara – quoique partisan du blocus – fait savoir que, malgré tout, les moyens sont en train d’être déployés et que, si le président en décide ainsi, les bombardements pourront commencer à partir du mardi 23 octobre.
    Ce qui a frappé tous les acteurs de la crise, c’est le calme du président. Il écoute plus qu’il ne parle. Signe de tension nerveuse plus aiguë qu’à l’accoutumée, il se tapote parfois les dents avec l’ongle de l’index. Quand il pose des questions, il est aisé de deviner la réponse qu’il souhaite. Robert Kennedy demande parfois à son frère de ne pas assister aux délibérations : « J’avais l’impression que sa présence étouffait quelque temps la sincérité du débat. Et je craignais qu’en indiquant ses vues ou ses préférences, il n’incitât les membres du Comité à lui emboîter le pas plus ou moins aveuglément. Or une liberté totale de parole et de pensée me paraissait essentielle pour étudier et approfondir tous les aspects du problème. Même si certains d’entre nous n’appréciaient guère cet affrontement. »
     
    Chacun attend avec une curiosité nuancée d’anxiété la visite que le ministre soviétique des Affaires étrangères, Gromyko, venu aux États-Unis pour assister à la session de l’ONU, doit, ce même jour, rendre au président. Elle est prévue de longue date. Gromyko en profitera-t-il pour parler de Cuba, voire apporter un message de Khrouchtchev ?
    À 17 heures, on introduit Gromyko dans le bureau du président. Accueil, compliments. Le Soviétique s’enfonce dans la mollesse de son fauteuil blanc, un sourire de convenance errant sur son visage triste et rond. Kennedy se balance dans son fauteuil à bascule. Il attend. Or si Gromyko parle de Cuba, c’est d’une voix feutrée, presque terne, pour affirmer que les armes fournies par son pays à Cuba sont défensives. Il tient à insister sur le mot : défensives . Il prie Kennedy de tout tenter pour que diminue l’inquiétante tension qui oppose les deux pays. Le président va-t-il, pour toute réponse, sortir de son tiroir la collection des photographies prises par les U-2  ? Quoi de plus tentant qu’un tel coup de théâtre ? Une autre tactique a été mise au point, une demi-heure plus tôt, avec Dean Rusk et Llewellyn Thomson. Kennedy ne pipe mot. Il répète seulement au ministre soviétique que les États-Unis ne toléreront jamais la présence de fusées soviétiques à Cuba.
    Un nouveau sourire contraint et Gromyko – est-il dupe ? – prend congé.
    Le soir, Rusk offre un dîner en son honneur. On espère que le ministre soviétique laissera au moins percer une arrière-pensée. Il n’en est rien. Il demeure ce qu’il a toujours été : une tombe.
    Comment le diplomate soviétique se douterait-il que le comité EXCOM se réunit, au moment même, à l’étage au-dessous ? Tantôt on siège à la Maison-Blanche, tantôt au département d’État. Cela met en marche beaucoup de Cadillac. Ce soir-là, un fonctionnaire se permet d’alerter Rusk :
    — Je sais qu’il se passe des choses dont vous ne voulez pas parler. Mais si vous tenez vraiment à ce que personne ne se doute de rien, vous devriez dire à toutes ces grosses légumes de garer leurs voitures ailleurs.
    Rusk se précipite à la fenêtre et découvre en bas un véritable magma de ces grosses voitures noires dont les plaques minéralogiques révèlent à tout initié l’identité de leurs utilisateurs.

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