C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
Il ne faut que cinq minutes pour faire disparaître les Cadillac dans le sous-sol du ministère.
Et l’on discute toujours. Chaque camp défend son point de vue. Bombardement ou blocus gardent leurs partisans. Ce qui ne veut pas dire que les uns et les autres restent toujours fermes sur leurs positions. On verra en quelques jours certains membres du Comité changer plusieurs fois d’opinion. Selon Elie Abel, McGeorge Bundy n’a modifié son point de vue que deux fois. De son propre aveu, Douglas Dillon passe d’un camp à l’autre pendant la soirée du 18 octobre : « Au début, j’avais été en faveur d’une attaque aérienne. J’étais certain que les Russes allaient nous induire en erreur. Je m’y attendais. De plus, j’estimais que, même si nous bombardions les bases cubaines, les Russes n’iraient jamais jusqu’à lancer des fusées sur le territoire américain. En d’autres termes, le bombardement me paraissait la solution la moins dangereuse. Je ne devais changer d’avis qu’après avoir entendu Robert Kennedy. En affirmant que nous devions rester fidèles à nos grandes traditions, il avait certainement raison : une attaque-surprise était sans aucun doute contraire aux principes moraux dont les États-Unis s’étaient toujours faits les défenseurs. J’avoue que, sans l’éloquence de Robert Kennedy, cette objection ne me serait pas venue à l’esprit. »
McNamara a pris le relais du ministre de la Justice. Il propose maintenant de suggérer au président de choisir d’abord le blocus. Si celui-ci ne donne passes résultats escomptés, JFK pourra adopter une autre solution.
À 22 heures, aux membres du Comité morts de fatigue, on vient dire que le président les attend. Edwin Martin préfère prendre l’air et se rendre à pied à la Maison-Blanche. Afin d’éviter les soupçons qu’éveillerait un nouveau ballet de Cadillac, dix autres s’entassent dans la voiture de Robert Kennedy : ce dernier, John McCone, Maxwell Taylor et le chauffeur se serrent sur la banquette avant, les six autres s’agglutinant à l’arrière. La voiture vient de démarrer quand quelqu’un murmure :
— Si nous avions un accident…
Parmi les membres du Comité qui se retrouvent à la Maison-Blanche, on compte une majorité de partisans du blocus. Ils s’expriment avec force. Le président les écoute. Quand les partisans du bombardement prennent ensuite la parole, le président les écoute aussi. Le débat reprend de plus belle. Las ! nous dit Robert Kennedy, « les opinions recommencèrent à changer, et pas seulement sur des points de détail. Certains passèrent d’un extrême à l’autre : partisans d’une attaque aérienne au début de la réunion, lorsque nous quittâmes la Maison-Blanche ils étaient en faveur de la non-intervention ».
Il suffit de considérer son front creusé de rides et sa lippe maussade pour comprendre que le président est mécontent. D’un ton impatient, il demande au Comité de reprendre ses délibérations d’urgence. Ceux qui ne songent qu’à aller dormir opinent avec componction. Quant à lui, JFK, il a l’intention de se rendre à ses rendez-vous électoraux. Il le prouve en quittant Washington le vendredi matin – 19 octobre – pour une nouvelle tournée de discours.
Ici entre en scène Pierre Salinger, chargé de l’Information à la Maison-Blanche. Nul ne l’a mis dans les secret, mais ses proches le savent trop averti pour ne pas avoir deviné ce qui se passait. Ce vendredi-là, ce quadragénaire trapu, nettement plus petit que le président, doté, sous les cheveux foncés plantés bas sur le front, d’un visage légèrement empâté et du regard vif de l’homme qui comprend tout, pénètre dans la chambre de Kennedy alors que celui-ci s’habille. Il interroge :
— Les journalistes se montrent intrigués par les mouvements de troupes vers la Floride. Que dois-je leur dire ?
Il a droit à une grimace de Kennedy :
— Déclarez que ces rumeurs sont dénuées de tout fondement.
Ce que va faire aussitôt, avec la gravité d’un pape, Pierre Salinger. Sans en croire un seul mot. Après quoi il rejoint le président au moment où celui-ci s’envole vers le Midwest. Kennedy sait que l’EXCOM va, ce jour-là encore, siéger pratiquement sans discontinuer. Et il sait le Comité toujours aussi divisé. Le soir, à l’hôtel Sheraton-Blackstone de Chicago, quand Salinger entre dans l’appartement de Kennedy pour lui
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