C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
russes continuaient d’avancer, ils approchaient de la barrière des 800 kilomètres. Nous devions soit les intercepter, soit annoncer notre reculade. J’étais assis de l’autre côté de la table, en face du président. C’était le moment pour lequel nous nous étions préparés et qui, espérions-nous, ne viendrait jamais. Le danger et l’anxiété que nous ressentions pesaient sur nous comme une chape de plomb, et spécialement sur le président. »
On dispose maintenant de nouvelles photos prises par les U-2 . On distingue très nettement les progrès considérables accomplis, en quelques jours seulement, par les techniciens soviétiques. Tout est en place désormais : les rampes de lancement, les engins eux-mêmes, les abris pour les ogives nucléaires. Bientôt, plusieurs nouvelles rampes de lancement seront prêtes. Pour la guerre.
10 heures du matin. McNamara annonce que deux cargos russes, le Gagarine et le Komiles , se trouvent à quelques kilomètres de la ligne d’interception. S’ils poursuivent leur navigation, l’un au moins des navires sera stoppé et arraisonné entre 10 h 30 et 11 heures.
Un nouveau message : un sous-marin soviétique en plongée vient d’être repéré entre les deux cargos.
Or dans la zone critique se trouve le porte-avions américain Essex . À son bord, des hélicoptères armés pour la chasse aux sous-marins. Alea jacta est . On donne l’ordre au porte-avions de sommer le sous-marin, par sonar, de faire surface et de décliner son identité. La voix de McNamara s’assourdit quand il précise qu’il faudra, s’il le faut, utiliser des grenades sous-marines pour forcer le sous-marin à faire surface. Autour de la table, le silence. Robert Kennedy ne quitte pas des yeux le visage de son frère : « Je crois que ces quelques minutes furent les plus graves qu’ait vécues le président. Le monde était-il au bord de l’holocauste ? Par notre faute ? Avions-nous commis une erreur ? Y aurait-il eu autre chose à faire ? Ou à ne pas faire ? Sa main remonta vers son visage et couvrit sa bouche. Il ouvrit et ferma le poing. Son visage était tiré, ses yeux douloureux semblaient presque gris. Nous nous dévisageâmes à travers la table. Pour quelques brèves secondes, ce fut presque comme s’il n’y avait personne d’autre et comme s’il n’était plus le président. Inexplicablement, je repensai au temps où il était malade et où il avait failli mourir ; au temps où il avait perdu son enfant ; au jour où nous apprîmes que notre frère aîné avait été tué ; aux périodes où nous avions été personnellement blessés et éprouvés. »
La voix du président s’élève :
— N’y a-t-il pas un moyen d’éviter d’avoir notre premier contact avec un sous-marin russe ? Tout vaut mieux que ça.
— Non, répond McNamara, cela représenterait trop de danger pour nos navires. Il n’y a pas d’alternative. Nos commandants ont reçu l’ordre d’éviter si possible les hostilités, mais c’est à cela qu’il faut se résoudre.
Un silence encore. Et la voix du président :
— Nous devons nous attendre à ce qu’ils bloquent Berlin. Terminez les préparatifs de ce côté-là.
Autour de la table, chacun sent, comme Bob Kennedy, que l’on se trouve à l’extrême bord du précipice et qu’il n’existe aucun moyen de revenir en arrière. Ce n’est pas la semaine suivante ni même le lendemain que tout va se jouer. C’est à l’instant même : « Le président Kennedy avait mis en marche le mécanisme des événements mais il ne le contrôlait plus. Il lui fallait attendre – il nous fallait tous attendre. Dans la salle du Conseil, les minutes s’écoulaient lentement. Que pouvions-nous désormais – que pouvions-nous faire ? »
10 h 25. On apporte à JFK un message du directeur de la CIA, McCone. Il est ainsi conçu : « Monsieur le président, nous venons de recevoir un rapport préliminaire qui semble indiquer que certains navires soviétiques ont stoppé net en pleine mer. »
Autour de la table, la stupeur. Point encore l’espoir. Il faut attendre la confirmation. Ou son contraire.
10 h 32. Nouveau message : « L’information est exacte, monsieur le président. Six navires en route vers Cuba ont stoppé à la limite du blocus ou bien s’en retournent vers l’Union soviétique. Un porte-parole des services de renseignements de la marine est en chemin avec le rapport complet. »
Il arrive, ce
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