C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
porte-parole, muni du rapport miracle. Cette fois, impossible de douter : les vingt navires russes les plus proches de la ligne d’interception ont viré de bord.
— De sorte, dit lentement le président, qu’aucun navire ne sera arrêté ni intercepté.
Reste la possibilité d’un accident, d’une erreur. Bob, fébrilement, s’écrie qu’il faut s’assurer que la marine sait qu’elle ne doit plus bouger, ni procéder à aucun arraisonnement. C’est dans la seconde qu’il faut transmettre les instructions. Dans la seconde !
JFK confirme :
— Si les bateaux ont l’ordre de faire demi-tour, il faut leur laisser toute liberté de le faire. Entrez directement en contact avec l’ Essex et dites-leur qu’ils ne bougent surtout pas, qu’ils donnent aux Russes la possibilité de virer de bord. Il faut se dépêcher parce que le temps passe.
Les adjoints quittent la salle en courant, se saisissent des téléphones. Les ordres se bousculent sur les ondes. Dans le salon ovale, désormais, la réunion traîne un peu. « Mais chacun semblait être devenu un autre homme : pour un court instant, le monde s’était arrêté et maintenant il tournait à nouveau. »
Dans ces sortes d’affaires, il importe surtout de ne pas se réjouir trop tôt. Certes, un pas immense vient d’être accompli, mais on ignore toujours quelles sont les véritables intentions de Khrouchtchev. Le même jour, fidèle à une tactique souvent utilisée par lui, profitant de la présence à Moscou du directeur de la Westinghouse, William Knox, en voyage d’affaires en Russie, Nikita Khrouchtchev le convoque au Kremlin. Knox trouve le Premier soviétique « au bord de l’effondrement », ayant l’air de ne pas avoir dormi de la nuit. Pendant trois heures, Knox doit se résigner à entendre soliloquer le Russe qui alterne d’inquiétantes menaces et d’énormes plaisanteries. Une phrase inquiète particulièrement Knox :
— Parfaitement, dit Khrouchtchev, nous avons des fusées et des bombardiers à Cuba ; mieux, nous allons nous en servir au besoin !
Écarlate, Khrouchtchev pointe son index boudiné vers Knox. Voilà ce que le président de la Westinghouse devra expliquer au président des États-Unis et à tous les Américains :
— Si jamais les navires essaient d’arraisonner les bateaux soviétiques, les sous-marins commenceront à couler les bâtiments américains ! Et alors ce sera la Troisième Guerre mondiale !
Khrouchtchev se calme un peu. Il se penche en avant pour confier à Knox que décidément il ne comprend pas l’attitude de Kennedy. Déjà, il a rencontré beaucoup de difficulté avec Eisenhower. Pourtant, c’était un homme de sa propre génération :
— Comment pourrais-je m’entendre avec un homme qui est plus jeune que mon fils ?
Khrouchtchev agite ses petites mains. Il aborde le sujet essentiel : s’agit-il à Cuba d’armes offensives ou défensives ?
— Si je vous vise avec un revolver là, comme ça – le revolver constitue une arme offensive. Mais si je le fais uniquement pour vous empêcher de tirer sur moi, cela devient une arme défensive, non ?
À peine sorti du Kremlin, Knox transmet immédiatement à Washington la relation de l’entretien. À Washington, on ne comprend plus. D’une part, Khrouchtchev donne l’ordre à ses cargos de rebrousser chemin, de l’autre il menace. Quel sens peut-on donner à son attitude ?
Avec une sage lenteur, l’ONU s’est chargée de résoudre la crise. Le secrétaire général U-Thant suggère aux deux parties de se réunir. Le jeudi 24, au Conseil de sécurité, le Russe Valerian Zorine – qui préside – déclare solennellement que le blocus de Cuba se fonde sur « un prétexte truqué ». Le représentant américain, Adlai Stevenson, oubliant pour un instant son pacifisme, bondit :
— Niez-vous que votre pays installe des fusées à Cuba ? Oui ou non ?
Zorine se drape dans une dignité blessée. Il rétorque qu’il n’est pas devant un tribunal américain :
— Je répondrai quand l’instant sera venu.
Stevenson, hors de lui, crie dans le micro :
— J’attendrai votre réponse jusqu’à ce que l’enfer gèle !
Il n’a droit de la part de Zorine qu’à un sourire dédaigneux qui se fige sur ses lèvres lorsque Stevenson, soudain, brandit sous son nez les photos accusatrices prises par les U-2 .
Ceux-ci survolent toujours Cuba. Un pilote, le major Rudolf Anderson, est même abattu par
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