C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
la DCA de l’île sortie enfin de son étonnante passivité. Il s’agit de l’un des deux pilotes qui, le 14 octobre, ont rapporté les premières photos accusatrices. Le major Anderson, mort aux commandes de son appareil, a peut-être sauvé, sinon la paix, du moins l’équilibre du monde.
Rentrés à leur base, les autres pilotes apportent la preuve que, dans l’île, les travaux n’ont pas été interrompus. Bien mieux, les Soviétiques accélèrent l’installation des fusées.
Grave question : Khrouchtchev ne cherche-t-il pas simplement à gagner du temps ? JFK, qui a d’abord laissé passer un pétrolier – ostensible geste d’apaisement – en vient à envisager d’étendre le blocus au pétrole. Il ordonne que l’on prépare un plan d’invasion de Cuba.
On avait cru voir la guerre atomique s’éloigner. N’est-ce pas son souffle terrifiant qui se lève de nouveau ? Le pape Jean XXIII supplie les nations de sauver la paix. Des signes, pourtant. Un diplomate russe rencontre un journaliste américain. Il fait connaître le désir de son pays de trouver une porte de sortie : on croit comprendre que les Russes enlèveront leurs fusées si les Américains s’engagent à ne pas envahir Cuba. Que faut-il penser de ce genre de contact ?
On en est là quand, le vendredi 27 octobre, Kennedy reçoit un message de Khrouchtchev. Un très long et très véhément message. Les spécialistes qui l’analysent aussitôt reconnaissent le style si personnel du Premier soviétique. Cette lettre, celui-ci n’a laissé à personne le soin de l’écrire. Elle apparaît « comme le cri d’épouvante d’un homme prisonnier d’un cauchemar (130) ». Khrouchtchev adjure Kennedy d’arrêter la course à l’abîme avant qu’il ne soit plus possible à quiconque d’éviter le cataclysme. Longuement, il évoque les horreurs de la guerre telles qu’il les a connues lui-même, telles qu’il en a souffert dans sa chair et dans sa descendance. Il en arrive aux fusées, revient sur sa distinction des armes offensives et défensives. Au fond, tout dépend de l’usage que l’on fait d’une telle arme. De toute façon, Kennedy doit bien savoir que des fusées à elles seules ne peuvent représenter un potentiel d’attaque. Derrière, il faut des troupes. Où sont-elles, ces troupes ?
Khrouchtchev ne veut rien cacher : c’est vrai, dans les mois précédents, l’Union soviétique a livré des armes à Cuba. Maintenant, les bateaux en route pour l’île ne transportent plus d’armes. Par conséquent, si la flotte américaine arraisonne ces bateaux, elle ne commettra rien d’autre qu’un acte de piraterie et l’Union soviétique sera bien obligée de se défendre. Qui peut prévoir où tout cela mènera ?
Khrouchtchev répète son leitmotiv en forme d’obsession : il faut absolument sauver la paix. Si une guerre éclate, elle sera mondiale et menacera l’humanité tout entière. Khrouchtchev demande à Kennedy de prendre un double engagement : l’assurance de ne pas attaquer Cuba et de retirer la flotte américaine des eaux cubaines. Si le président des États-Unis accepte, la situation changera du tout au tout.
La conclusion ressemble à une adjuration : « Si vous n’avez pas perdu votre sang-froid, si vous vous rendez vraiment compte où cette affaire risque de nous entraîner, alors, monsieur le président, vous et moi devrions éviter de tirer sur les extrémités de la corde dans laquelle vous avez noué la guerre, car plus nous tirerons, plus le nœud se resserrera. Et il arrivera un moment où même celui qui a fait ce nœud n’aura plus la force de le défaire, si bien qu’on sera forcé de le trancher. Ce n’est pas à moi de vous expliquer ce que cela signifierait. Vous-même connaissez les moyens terrifiants dont disposent nos deux pays.
« Par conséquent, si vous n’avez pas l’intention de resserrer ce nœud, de condamner le monde à subir le cataclysme d’une guerre thermonucléaire, eh bien, mettons fin à la tension qui, en ce moment, s’exerce sur les extrémités de la corde et, surtout, prenons des mesures pour défaire ce nœud. Nous, les dirigeants d’Union soviétique, nous sommes prêts à agir dans ce sens. »
À la Maison-Blanche, on respire. Kennedy se dit prêt à parier qu’il s’agit d’un message de bonne foi : « Pour la première fois, se souviendra-t-il, j’avais l’espoir de voir nos efforts réussir. » Cet optimisme ne dure
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