C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
qu’un orchestre d’étudiants joue sur l’aéroport s’intitule Yellow roses of Texas et contient cette phrase : « Viens, tu seras reçu avec amour comme un héros. » Paroles qui semblent sonner juste : pour accueillir John Fitzgerald Kennedy, l’acclamation qui déferle sur l’aéroport étouffe la musique de l’orchestre. S’encadrant dans la porte de l’avion, le président des États-Unis sourit, lui aussi, en considérant cette foule qui crie et se bouscule derrière la clôture en treillis métallique. Il a l’air si sincèrement heureux que les acclamations redoublent.
J’ai vu John Kennedy à Paris. La voiture découverte du général de Gaulle, remontant les Champs-Élysées, le conduisait lentement vers l’Arc-de-Triomphe. Il pleuvait. Debout à la droite du Général – resté assis –, son hôte américain, sans pardessus, le veston traversé par la pluie, le visage ruisselant, souriait aux Parisiens. Aucune photographie ne pourra exprimer ce qu’était ce sourire. On le recevait comme un don. Nous avons su ensuite ce qu’il signifiait de tranquille courage. Quand, ayant achevé son tour d’Europe, il regagna les États-Unis, il souffrait tant de son dos blessé – une lésion de la colonne vertébrale, aggravée par une blessure de guerre – qu’il fut nécessaire de le porter à sa descente d’avion.
Pendant plusieurs jours – avant et après la visite du président – la presse française fut pleine de récits, à tendance romanesque, évoquant l’ascension de la famille Kennedy et la conquête du pouvoir par celui que l’on désignait le plus souvent par les initiales JFK. Exceptionnellement ici, le romanesque et la vérité historique ne faisaient pas mauvais ménage. Comme de juste, les Kennedy avaient fui l’Irlande à la suite de l’une des terribles famines qui, au XIX e siècle, avaient désolé l’île. Bateau d’immigrants jetant sa misérable cargaison sur les quais de New York : tout y est. Le grand-père Patrick ouvre un débit de boisson. Quand commence le XX e siècle, il est propriétaire de trois saloons et vend en gros des boisons alcoolisées. Qui plus est, il possède des parts importantes dans une compagnie d’assurances et une société de charbonnage. Le premier de sa lignée, il s’intéresse à la politique en prenant pied dans les affaires municipales. À Boston et dans tout le Massachusetts, on le considère comme une personnalité. Il n’est donc pas illogique que son fils aîné, Joe, fasse ses études à Harvard et que, deux ans après sa sortie de l’université, il dirige à vingt-cinq ans une banque. Il épouse la fille du maire de Boston, Rose Fitzgerald. C’est le cardinal O’Connell, archevêque de Boston, qui les unit. « Les cardinaux ne marient pas n’importe qui (132) . » Le couple donnera naissance à neuf enfants, l’aîné étant Joe (1915) suivi par John (1917), le septième étant Robert (1925).
Animé par une ambition dévorante associée à un sens aigu des affaires, c’est à New York que Joe, le père, fera sa fortune. À la fin de la prohibition, il aura l’art d’anticiper l’événement et de réunir, au bon moment, d’énormes stocks d’alcool de qualité achetés en Europe. Désormais, il place tous les cinq ans un million de dollars sur le compte de chacun de ses enfants. Il subventionne généreusement le parti démocrate. En signe de gratitude, Franklin D. Roosevelt le nomme, en 1938, ambassadeur des États-Unis à Londres. Il ne cesse de déconseiller à Roosevelt d’accorder une aide à la Grande-Bretagne, jugeant, en cas de conflit, que l’Allemagne de Hitler – qu’il admire – écraserait celle-ci en quelques jours. En fait, il rêve de parvenir lui-même à la présidence des États-Unis. Ses positions trop personnelles vont déplaire à Roosevelt qui le rappelle en Amérique, où il démissionne. Dès lors, il se consacre uniquement à grossir encore sa fortune et reporte sur ses fils son ambition perdue : ce sera l’aîné, Joe, qui sera président. Son père est décidé à dépenser, pour atteindre ce but, autant de millions de dollars qu’il faudra. La guerre venue, le jeune Joe excelle en tant que pilote dans l’aéronavale. Au cours d’une mission au-dessus de la Manche, il est abattu par la Luftwaffe et son appareil se désintègre. Voilà le clan Kennedy tout entier plongé dans le désespoir. Le père vieillissant ne renonce pas : c’est John qui sera
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