C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
les dépêches. Paul Reynaud déclare :
— Ce n’est pas une nationalisation, c’est la mainmise sur les biens d’autrui.
Et M e Isorni :
— Il s’agit d’une spoliation contraire au droit public et au droit privé.
Dans les premières heures de la matinée, le texte de la loi égyptienne de nationalisation, qui vient d’être publié au Caire, parvient à Paris et à Londres. On constate que les avoirs de la Compagnie de Suez en tout pays sont gelés ; ses biens sont transférés à l’État égyptien ; le personnel devra poursuivre ses tâches sous peine d’emprisonnement ; les actionnaires et les porteurs de parts seront indemnisés sur la base du prix de clôture, à la Bourse de Paris, du jour précédant la mise en vigueur de la loi.
Donc, à Londres comme à Paris, on sait désormais exactement à quoi s’en tenir. Christian Pineau s’entretient téléphoniquement pendant une heure avec Anthony Eden qui se déclare « insulté » ; on se trouve en présence d’une violation du droit moral. Avec beaucoup de fermeté, Eden déclare qu’il est prêt à agir, « s’il est suivi par la France et approuvé par les États-Unis ». Il propose, à l’initiative des trois pays, une réunion à laquelle seraient conviés les principaux usagers du canal : une vingtaine de pays. On peut prévoir que l’ensemble de ces usagers demanderont à « placer le canal sous un contrôle international effectif, et cela en vertu d’une organisation durable ». Nasser refusera. Alors, il sera possible de recourir à la force. Sous-entendu : les apparences seront sauves.
En écoutant Eden, Christian Pineau a marqué un temps d’arrêt. Tout cela est bel et bon, mais on va perdre beaucoup de temps. Les Français préféreraient, comme Noury Saïd, frapper très vite et très fort. On n’en a pas moins décidé de se concerter de nouveau le 28. À cette date, on connaîtra le point de vue américain. Ni Eden ni Pineau ne méconnaissent à cet égard une difficulté essentielle : les élections présidentielles américaines approchent. Nul, à Washington, ne tiendra à hasarder le moindre faux pas.
Christian Pineau a-t-il parlé à Eden de ce pays tiers qui, dans le cas d’une intervention militaire, peut être appelé à jouer un rôle essentiel ? Jamais les liens n’ont été aussi étroits entre Israël et la France. Aux yeux des pays arabes, la politique algérienne de la France a fait de celle-ci une réprouvée. Rejetée par l’un des deux camps, la France s’est rapprochée de l’autre. David Ben Gourion, revenu aux affaires au printemps de 1956 et très inquiet pour la sécurité de son pays, a envoyé à Paris le jeune Shimon Peres, directeur général du ministère de la Défense, solliciter une augmentation considérable des fournitures d’armes consenties jusque-là par le gouvernement français. En grand secret, Paris a répondu favorablement. Depuis des mois, l’aide militaire à Israël ne cesse de croître. On voit fréquemment à Paris les généraux israéliens Dayan et Tolkovsky.
L’instant n’est-il pas venu de combiner avec Israël une triple attaque contre l’Égypte ? Avec la bénédiction américaine, s’entend.
Or les États-Unis vont déverser sur les espoirs anglo-français une véritable douche d’eau glacée. Le 1 er août, le secrétaire d’État Foster Dulles arrive à Londres, drapé dans son étemel pardessus anthracite et des idéaux qui n’ont pas changé depuis le président Wilson. Une action commune contre Nasser ? La réponse est non. Les États-Unis refusent catégoriquement d’intervenir en dehors du cadre fixé par l’Organisation des Nations unies. Ils préconisent une conférence de vingt-quatre nations – y compris l’URSS et l’Égypte – qui instituera éventuellement un contrôle international sur le canal.
Voilà ce qu’entendent, tête basse, Anglais et Français. Ils ne sont pas tout à fait dupes. Ils savent pertinemment que le programme du général Eisenhower, candidat à la Présidence pour un second mandat, se résume dans la formule : Ike is peace (Ike, c’est la paix).
Pour compliquer encore les choses, on prend connaissance des déclarations prononcées la veille à Moscou par Nikita Khrouchtchev. Celui-ci a insisté sur la nécessité de trouver à l’affaire de Suez une solution pacifique. En martelant ses mots, il a ajouté : « Il n’y en a pas d’autre. » Et encore : « Nous voudrions que
Weitere Kostenlose Bücher