C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
la France et l’Angleterre nous comprennent bien. » Une menace ?
D’autres dépêches parviennent à Paris et à Londres. Dans tout le monde arabe, on salue avec enthousiasme l’initiative prise par le colonel Nasser.
Devra-t-on accepter l’humiliation jusqu’à la lie ? Se contenter de protestations platoniques ? S’incliner devant celui que la presse française – avec une évidente exagération – continue d’appeler « le nouvel Hitler » ?
Malgré les réserves soviétiques et le « lâchage » américain, la détermination des Français et des Britanniques ne s’est en rien amenuisée.
On se passera des Américains. Les soldats français et britanniques iront seuls punir Nasser. La France et la Grande-Bretagne ne sont-elles pas elles-mêmes de grandes nations ? Ne siègent-elles pas aux réunions périodiques des Cinq Grands ? Dans le passé, elles ont l’une et l’autre conquis les deux plus vastes empires coloniaux du monde. En ont-elles demandé l’autorisation à quiconque ?
Pas de vacances, en août, pour les ingénieurs et les ouvriers des arsenaux de Toulon. À la fin du mois, une véritable armada est prête à prendre le large : 18 navires de combat, 13 navires auxiliaires, 10 navires amphibies, 2 sous-marins, 14 dragueurs, le Pasteur réarmé, 5 paquebots, 1 navire hôpital, 45 cargos, 7 pétroliers, 2 tankers à eau douce. Le 25 août, l’escadre française est prête à appareiller. L’ensemble de nos forces se compose de 25 000 hommes et 9 500 véhicules.
Au ministère de la Défense nationale, Maurice Bourgès-Maunoury est relié par une ligne spéciale à Tel-Aviv. Ces semaines-là, d’énormes quantités de matériel de guerre partent pour Israël. « J’estimais, devait expliquer plus tard Guy Mollet aux membres du parti socialiste, qu’il fallait donner de l’armement à Israël de la même façon qu’en 1936, on avait aidé les républicains espagnols. »
Pour que le secret soit gardé, et bien gardé – sans cela on s’exposerait, de la part des pays arabes, à une explosion de protestations – on truque les chiffres des contrats de vente. Les pilotes français cèdent les commandes des chasseurs Mystère IV à des Israéliens en civil qui feront escale à Bizerte ou à Brindisi. « Des chars de 13 tonnes renforcent aussi le potentiel israélien. Les engins vendus officiellement sont rangés, en ordre parfait, sur une plage. Chaque nuit, des débarquements ont lieu et les chars supplémentaires sont aussitôt dissimulés. À l’aube, le volume du matériel visible semble avoir dormi du sommeil du juste (30) . » Pour faire bonne mesure, des Nord-Atlas transportent vers le pays de Ben Gourion « des équipements et matériels divers, des appareils de transmission, des canons antichars, etc. ».
Pendant ce temps, les états-majors britanniques et français travaillent. Ils se sont mis à l’œuvre dans un bunker souterrain sous la Tamise, surnommé Terrapin , ce qui veut dire : tortue de mer. On avance, mais bien lentement. La tradition enseigne à un officier britannique de se garder jamais de toute hâte inutile.
— Terrapin , le bien nommé ! soupirent les Français.
— Que voulez-vous, explique sans rire un Américain, il faut toujours aux Anglais deux fois plus de temps pour décider d’un geste que pour l’accomplir (31) .
Là s’agitent stratèges anglais et français chargés d’accoucher des plans d’opérations. Le général Massu le dira : la proportion des Britanniques et des Français travaillant dans le bunker rappelle assez bien celles du pâté d’alouette (proportions égales : un cheval, une alouette) « puisqu’il y a 100 Britanniques pour 4 Français (32) ».
Massu dira encore que « dès le début, les Français sont piégés ». De fait, non seulement le commandement en chef, mais tous les commandements reviendront à des Britanniques. Les Français n’auront droit qu’à des fonctions d’adjoints. Ainsi le général Keightley, commandant en chef des forces interalliées, aura-t-il pour adjoint l’amiral français Barjot. Le corps expéditionnaire proprement dit sera commandé par trois officiers généraux britanniques (général Stokwell, amiral Dunford Slater, Air Marshall Barnet) auxquels des officiers généraux français seront adjoints (amiral Lancelot, général Beaufre, général Brohon).
En grand mystère, les premiers éléments sont acheminés vers Chypre. Ce
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