C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
stabilité, aussi longtemps que des soldats anglais demeureraient sur le canal de Suez ». Depuis la Seconde Guerre mondiale, Londres se persuadait que la Grande-Bretagne était « le partenaire privilégié » des États-Unis. Ce qui était une manière commode de ne pas s’avouer à soi-même que l’on se trouvait réduit au rôle de brillant second. En fait, Londres avait pris l’habitude de ne rien refuser à Washington. Les deux délégations – la britannique présidée par le chef du War Office Anthony Head, l’égyptienne par le colonel Nasser lui-même – allaient très rapidement aboutir à un accord. Le 27 juillet, l’Angleterre s’engageait à retirer ses troupes de la zone du canal par étapes successives. Deux ans plus tard, il ne devait rester aucun soldat anglais à Suez.
Quand, le 19 octobre, le traité anglo-égyptien fut officiellement signé dans une salle du Parlement égyptien, une nouvelle vague d’enthousiasme souleva l’Égypte. On lut dans les journaux : « L’Égypte est libre pour la première fois depuis 1517, date où a eu lieu la conquête ottomane (25) . » On barra les principales avenues de la capitale par des banderoles rouges qui portaient une inscription éloquente : « Relève la tête, mon frère, car les jours d’humiliation sont passés ! »
Bientôt, Gainai Abdel Nasser allait juger le moment venu de se tourner tout entier vers l’avenir. Pour lui, il s’agissait du barrage sur le Nil qu’il méditait d’édifier à Assouan.
De ce barrage aussi, nos journaux nous entretenaient. Longuement. Nous connaissions la préoccupation profonde de Gamal Abdel Nasser. L’Égypte n’est en fait qu’un désert de sable. Au milieu de cette immensité, on ne trouve qu’un long couloir fertile qui court depuis les cataractes jusqu’à la mer. Deux chiffres résument tout : 96 % de sable, 4 % de terres cultivables. Longtemps, ces terres avaient suffi à la faible population qui habitait l’Égypte. Mais la natalité galopait. En 1955, 23 millions d’habitants, soit 550 au kilomètre carré. Un accroissement de 400 000 âmes par an. Pas de doute : bientôt, les Égyptiens mourraient de faim.
D’où l’idée – évidente mais essentielle – de régulariser le débit du Nil. De temps immémoriaux, le Nil déborde chaque année. C’est le limon que laissent les eaux, en se retirant, qui fertilise la vallée. Mais cette crue ne dure que deux mois. Surtout, 90 % de cette masse liquide ne peut être utilisée et glisse vers la Méditerranée où elle se perd. Il suffirait de barrer le Nil pour être sûr d’utiliser toute l’eau du Nil et ceci douze mois pas an. On pourrait accroître dans des proportions considérables l’étendue des terres cultivables.
Sept jours après que le roi Farouk eut été renversé, Aly Sabri, collaborateur le plus proche du colonel Nasser, a reçu la visite d’un certain Daninos. Un petit homme brun de teint, d’allure effacée. Né en Égypte de parents grecs, il vivait en Italie. À Sabri il voulait révéler quelque chose de capital :
— J’ai un important projet hydraulique, mais aussi agricole ; je ne suis pas fou, comme me l’ont dit certains ministres de Farouk ! On peut barrer réellement le haut Nil sur une longueur de mille mètres et une hauteur de cent. Ce sera cher, mais c’est possible, c’est l’espoir de l’Égypte (26) !
Aly Sabri a cru au projet de Daninos. Nasser avec lui. Pour mener à bien les études préliminaires, on a engagé un ingénieur milanais, Luigi Gallioli. On a soumis les plans à des experts de l’armée égyptienne. Ils ont affirmé que le projet était parfaitement réalisable. Alors la décision a été prise : on construirait sur le Nil le barrage d’Assouan.
Quand nous lisions les études que l’on publiait sur le grand projet du colonel Nasser, nous ne pouvions que lui donner raison et même applaudir. L’œuvre nous paraissait admirable et faisait songer aux gigantesques réalisations des anciens pharaons. Cela dit, les chiffres proposés laissaient rêveurs. Une première estimation permettait de fixer le coût de l’entreprise à 1 300 millions de dollars. Jamais les finances égyptiennes ne pourraient supporter une telle hémorragie. D’ailleurs Nasser n’en doutait pas qui déjà, se tournant vers les États-Unis et la Grande-Bretagne, sollicitait l’appui de l’étranger.
Le 19 décembre 1955, après de longues et difficiles
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