C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
collègue soviétique se dresser. Il a raison de s’inquiéter : M. Sobolev demande aux États-Unis de s’associer à l’Union soviétique afin d’apporter une aide militaire commune à « l’Égypte injustement attaquée ». Cabot Lodge en a le souffle coupé. Au vrai, la proposition apparaît diaboliquement habile. Le délégué soviétique sait très bien que les États-Unis ne sauraient en aucun cas intervenir contre deux membres de l’alliance atlantique tels que la France et l’Angleterre. Ils ne peuvent donc que repousser la proposition. Ainsi l’URSS pourra-t-elle se tourner triomphalement vers les Arabes et leur dire : vous voyez, vous n’avez rien à attendre des Américains. C’est en nous seuls que doivent résider vos espoirs.
Après un instant de silence, Cabot Lodge explose :
— Vous parlez de paix, et vous aggravez terriblement le péril de guerre. Vous parlez de peuple victime… songez d’abord à celui qu’en ce moment même, à Budapest, vos troupes écrasent et livrent à la boucherie !
Furieux, Sobolev clame à son tour :
— Soit ! Vous refusez, vous condamnez le Conseil à l’inaction. Vous exposez les peuples au risque d’un conflit plus étendu et d’une troisième guerre mondiale. Sachez que les États-Unis en porteront la responsabilité ! L’URSS décidera sans vous !
Au moment où se déroule cette altercation dramatique, il y a vingt heures que l’attaque franco-anglaise a commencé. À 7 h 15, heure locale, 600 Anglais de la 16 e brigade de parachutistes, aux ordres du général Butler, ont sauté sur une plage à l’ouest de Port-Saïd. À 7 h 30, 550 hommes du 2 e régiment de parachutistes coloniaux, commandés par le colonel Château-Jobert, touchent terre au sud de Port-Saïd. Objectif : un pont ouvrant la route de Suez et que protège une très forte artillerie. Dès le premier instant, le combat est rude. On occupe le siège de la Compagnie des eaux. Le pont est pris d’assaut. Quant aux Anglais, solidement installés sur l’aérodrome de Gramil, ils s’avancent vers Port-Saïd.
À 15 heures, les parachutistes coloniaux du lieutenant-colonel Fossey-François sautent sur Port-Fouad que l’on prendra un peu plus tard. Port-Saïd résiste toujours mais les Franco-Britanniques sont persuadés que la ville tombera le lendemain. D’ailleurs, un capitaine anglais s’est avancé en jeep en direction d’El-Kantara sans rencontrer la moindre résistance. « Dans du beurre, exultent les hommes du corps expéditionnaire. Dans du beurre ! »
Château-Jobert appelle au téléphone le général El Moguy, commandant de la région de Port-Saïd. Celui-ci accepte de rencontrer le Français qui lui déclare vouloir éviter le bombardement naval prévu pour le lendemain matin. Le général Butler apporte les conditions de la reddition : il faudra que les Égyptiens jettent leurs armes et se rendent, soit aux Français, soit aux Anglais qui les feront prisonniers. El Moguy déclare qu’il doit consulter Le Caire. Réponse négative de la capitale : point de reddition. Il est alors 22 h 30.
Tant pis. Demain, il y aura de la casse mais Port-Saïd sera pris. Pas un Anglais, pas un Français n’en doute. On foncera vers Suez. Après quoi, la route du Caire s’ouvrira aux vainqueurs. C’est compter sans l’URSS.
Le même jour, peu avant 23 h 30, l’ambassadeur soviétique à Paris se présente chez Guy Mollet et lui remet un message signé par le maréchal Boulganine. Guy Mollet qui, quelques minutes plus tôt, se réjouissait des excellentes nouvelles en provenance de Port-Saïd, se met à lire :
« Le gouvernement soviétique est pleinement résolu à recourir à l’emploi de la force pour écraser les agresseurs et rétablir la paix en Orient… Je considère de mon devoir de vous faire savoir que le gouvernement soviétique s’est déjà adressé à l’ONU ainsi qu’au président des États-Unis en proposant d’utiliser des forces navales et aériennes pour mettre fin à la guerre en Égypte. »
À peine Guy Mollet a-t-il fini de lire que le téléphone sonne : Sir Anthony Eden annonce qu’il a reçu un message pratiquement identique mais encore plus menaçant. Boulganine parle de fusées. Cela veut dire : si votre opération n’est pas arrêtée dans les heures qui viennent, nous sommes en mesure de vous écraser sous nos armes à longue portée.
Au bout du fil, la voix de Sir Anthony tremble. L’après-midi
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