C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
faut méditer ce qu’a écrit le général Beaufre : « J’examinai la possibilité de désobéir . » Ce sentiment, presque tous les responsables français l’ont partagé. Bien sûr, les Français seuls peuvent prendre El-Kantara. Et après ? « C’était une satisfaction illusoire pleine de risques, une violation du cessez-le-feu pour une progression de quelques kilomètres. De plus, l’appui aérien au départ de Chypre aurait été vraisemblablement empêché par les Britanniques, ce qui nous aurait privés d’un moyen essentiel. Enfin, l’existence d’un "ultimatum" soviétique, dont j’ignorais les termes, entraîna ma décision : je n’avais pas le droit de prendre une initiative aussi grave dans de pareilles circonstances… J’appliquai l’ordre reçu (38) . »
L’expédition de Suez aura fait 12 morts et 43 blessés chez les Français, 19 tués et 100 blessés du côté britannique, vingt fois plus chez les Égyptiens.
C’est fini. Nasser a gagné. Les petits Égyptiens apprendront bientôt à chanter sa gloire :
O Gamal, ami des millions,
Nous marchons sur le chemin que tu nous as tracé,
Nous venons à la lumière,
Nous marchons vers la prospérité…
Un peu plus tard, le général de Gaulle recevra Raymond Tournoux qui lui demandera ce qu’il pense de l’affaire de Suez.
— Elle partait d’une bonne intention. Pour une fois où l’on faisait quelque chose ! Mais l’opération était très difficile. Elle eût exigé une préparation parfaite sur le plan politique et militaire. Nous avons confié le soin aux Britanniques de tout organiser. Pourquoi leur avons-nous laissé le commandement partout ? Ils commandaient sur mer, ils commandaient à terre, ils commandaient dans les airs.
Selon le général, il aurait fallu avertir les Américains, non pas pour leur demander une permission mais pour les informer avec toute la fermeté nécessaire : « Voilà ce que nous voulons faire. »
Français et Anglais occuperont quelque temps le canal. L’ensemble de notre corps expéditionnaire ne décolérera pas. Pour la première fois depuis longtemps, les Français ont entrevu une victoire et on la leur a « fauchée » ! Comme l’a dit Massu : « Plus que jamais, l’armée, humiliée par un échec qu’elle n’avait pas mérité, frustrée d’une victoire certaine – et pour l’armée française, la victoire devenait depuis quelque temps une denrée trop rare pour qu’on se permît de la gaspiller – devint très pointilleuse sur ce chapitre. »
C’est ainsi que l’affaire de Suez aura permis à notre armée une réflexion dont les conséquences seront tirées le 13 mai 1958, à Alger. « On avait reproché à certains de ses chefs, dit Massu, de n’avoir pas su désobéir. En mai 1958, elle saura comment les cartes sont distribuées et comment sont répartis les atouts, elle n’ignorera aucune des données du problème : aussi ne se laissera-t-elle pas frustrer. Elle désobéira en toute connaissance de cause. »
Étrange conclusion : la IV e République était intervenue à Suez pour garder l’Algérie. C’est aussi pour la garder que, le 13 mai 1958, les militaires d’Alger feront naître la V e République – qui perdra définitivement l’Algérie.
L’expédition de Suez aura comporté pour les Français et les Anglais une conséquence plus essentielle encore : elle a mis fin à d’inutiles illusions et fait comprendre que le temps était fini pour eux des initiatives individuelles. Il fallait bon gré mal gré se résigner à n’être plus que des puissances de second rang.
IV
Détournez l’avion de Ben Bella !
22 octobre 1956
— Un coup formidable, monsieur le secrétaire général ! Dans un moment, Ben Bella passera en avion au-dessus de nos têtes !
L’homme qui parle ainsi, le 22 octobre 1956 peu après 8 h 30 du matin, s’appelle Ducournau. Un colonel de paras, directeur du cabinet militaire de Robert Lacoste, ministre de l’Algérie. Si le siège du ministère est à Paris, le ministre, lui, réside à Alger. Seule différence avec les autres membres du cabinet : le socialiste Robert Lacoste, « ministre-résidant », n’assiste pas toujours aux Conseils des ministres hebdomadaires tenus sous l’autorité de René Coty, président de la République, et de Guy Mollet, président du Conseil.
Il est hors de lui, le colonel Ducournau. Il piétine littéralement sur place. À ses côtés, le
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