C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
ne pas quitter vos sièges avant l’arrêt complet de l’appareil.
En tout cas, en ce qui la concerne, elle a disparu dans le poste de pilotage. L’équipage a bloqué la porte de communication. Du commandant à l’hôtesse, tous sautent par l’ouverture de secours. La pauvre Mlle Lambert se foule une cheville.
Dans l’appareil, voici que les lumières s’éteignent, d’un seul coup. Dehors, s’allument des projecteurs aveuglants. On aperçoit des soldats casqués qui foncent sur le DC3. Mus par un même réflexe, tous les Algériens sont debout. Déjà le colonel Andrès, chef de la sécurité de l’Air, surgit dans la carlingue, mitraillette au poing, avec ses hommes : « Haut les mains ! »
Ben Bella plonge la main dans la poche du siège où il a placé son revolver. Ses camarades lui crient de laisser son arme où elle est, de ne pas leur donner ce beau prétexte.
— Je ne croyais pas les Français capables de cela, dira plus tard Ben Bella.
Les membres de l’équipage vont être conduits à la villa Les Oliviers . Le lendemain, ils y verront arriver leurs femmes et leurs enfants, littéralement enlevés de chez eux, au Maroc, en fin d’après-midi et mis à l’abri. « Nos familles, m’a écrit Denis Dubos, nous rejoignirent le lendemain, rapatriées dans l’avion personnel de M. Lacoste… Nous reçûmes de M. et Mme Lacoste ainsi que de leurs collaborateurs un accueil extrêmement cordial et chaleureux. J’ajouterai que, quelques jours plus tard, lors de notre retour en France, nous fûmes accueillis à notre descente d’avion par M. Guy Mollet, président du Conseil. »
Il faut comprendre la préoccupation exprimée par l’équipage du DC3 quant à leurs familles. On était encore très près de la proclamation de l’indépendance du Maroc. Beaucoup de Français s’y trouvaient, civils installés depuis longtemps et militaires non encore évacués. À la nouvelle de la capture de « Ben Bella et consorts », une effroyable émeute va se déchaîner dans la ville marocaine de Meknès et ses environs.
Mme L. Van Troyen m’a écrit : « Je suis une “pied-noir”, revenue du Maroc (où j’étais née et où j’avais passé ma vie) en 1957, précisément à la suite des événements qui, là-bas, ont été une des conséquences désastreuses de l’arraisonnement de l’avion de Ben Bella, le 22 octobre 1956… J’habitais Meknès à cette époque et, dès le 23 octobre, les agents du FLN fomentaient, en représailles de l’arrestation de Ben Bella et des autres dirigeants, d’affreux massacres dans la colonie française de la ville et des environs : une centaine de morts dont certains dans des conditions effroyables (61) ! » Ce que m’a confirmé M. Pierre-Henri France : « En Médina , huit à dix agents de police français eurent la tête tranchée et les Arabes promenèrent leurs têtes au bout d’un bâton… En ville “nouvelle”, ils écrasèrent des têtes à coups de pavé, violèrent puis tuèrent. J’ai dû me rendre moi-même à la morgue de l’hôpital Mohammed V pour reconnaître et étiqueter des corps. Il y avait là M. Mas, briquetier, le crâne éclaté, la lippe retroussée et les dents en avant, tel un cheval hennissant, mais mort ; son gendre Messina, d’abord grillé en place publique, sa femme Lucienne, née Mas, horriblement mutilée après avoir été violée et le fils Mas, également brûlé auparavant, puis de nombreux troncs non identifiables parce que les quatre membres brûlés… Un inspecteur de chez Michelin, en 403, fut éjecté de sa voiture puis un vieux garagiste de la rue de l’Yser fut tué à coups de pavé, le crâne éclaté. Une horde sauvage a écumé la ville puisque le général commandant la région était en congé et que le colonel C, par intérim, doublé du capitaine H ne levèrent pas le petit doigt pour faire donner les troupes ni l’aviation pourtant remarquablement équipée. » Mme Van Troyen a commenté ces horreurs à mon intention : « Le Maroc – indépendant depuis six mois – et le gouvernement de Guy Mollet (socialiste) ont occulté au maximum cette “bavure” épouvantable. Le retentissement dans tout le Maroc de ces massacres a été considérable et a entraîné, dès 1957, l’exode massif et brutal de la quasi-totalité des Français (auparavant décidés – et encouragés – à rester là-bas au maximum), ce qui n’a pas été sans conséquences graves, à la fois
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