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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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pour le Maroc et pour la France. »
     
    Cependant que les « cinq » roulent vers Alger, menottes aux mains, dans une voiture cellulaire cernée de tanks et de motards, bourrée de gendarmes, la nouvelle court sur les ondes et les fils du téléphone. À Tunis, Mohammed V est l’un des premiers avertis. À la fois furieux et désespéré, il appelle aussitôt, à l’Élysée, René Coty. Sa voix tremble de colère :
    — Les Algériens étaient placés sous ma protection… Mon hospitalité a été violée… Vous connaissez l’âme musulmane… C’est une question d’honneur… Je suis prêt à donner mes fils en otages…
    À la même heure, Guy Mollet préside au Cercle Interallié le dîner d’adieu offert au général américain Gruenther. Assistent également à ce dîner : les secrétaires d’État Alain Savary et Max Lejeune, ainsi que Louis Joxe, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Au cours du dîner – à cette heure-là seulement – Savary et Joxe sont prévenus du détournement de l’avion de Ben Bella. Aussitôt, ils font demander à Guy Mollet de venir s’entretenir avec eux. Le président du Conseil quitte sa table. Je cite Alain Savary : « L’entretien que nous avons eu, Louis Joxe et moi-même, avec Guy Mollet s’est déroulé sans témoin dans un salon retiré du Cercle Interallié. La réaction de Guy Mollet fut on ne peut plus claire… Si j’évoque le qualificatif de “grave faute” c’est en usant de litote. »
    Il est vrai que Guy Mollet est apparu « stupéfait, accablé, furieux même, retenant avec peine le juron qui lui vient sur les lèvres  (62)  ». Il se domine, regagne sa table, écoute sans broncher la cascade des discours. Le dîner achevé, croisant Max Lejeune dans le hall du Cercle, il lance :
    — Tu t’expliqueras avec le président de la République.
    Le secrétaire d’État opine.
    Les deux hommes filent à l’Élysée où Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères, les a précédés. Ils trouvent René Coty en robe de chambre… et d’une humeur massacrante. À l’adresse de Max Lejeune, une phrase glaciale :
    — Bonsoir, monsieur le secrétaire d’État !
    Accablé, le président ajoute :
    — Nous sommes déshonorés !
    Les autres ministres surgissent. Pour la plupart, ils ne partagent pas le pessimisme de Coty. Même, certains ont l’air ravi. Le président de la République douche leur enthousiasme en s’écriant qu’il faut libérer les prisonniers. Christian Pineau approuve. Furieux, Bourgès-Maunoury et Max Lejeune répondent qu’il n’en est pas question. Rappelé à son impuissance, Coty soupire :
    — La décision finale appartient à M. le président du Conseil.
    Tous se tournent vers Guy Mollet, toujours tendu et pâle. Un long silence. Puis :
    — Je regrette, comme M. le président de la République et M. le ministre des Affaires étrangères, le détournement de l’avion de Ben Bella. C’est un acte inconsidéré commis sans l’assentiment du gouvernement… Mais je ne crois pas que, dans l’état actuel de l’opinion publique et parlementaire, nous puissions nous permettre de relâcher les prisonniers. Si nous agissions ainsi, le gouvernement serait renversé dès demain. Le mal est fait. Nous ne pouvons revenir en arrière.
    Alain Savary s’est souvenu : « Les échanges ont eu lieu essentiellement entre le président Coty, Guy Mollet et moi-même. Au-delà des conséquences internationales, à l’approche du débat sur l’Algérie à l’ONU, nous nous sommes efforcés de rechercher les moyens de diminuer les effets de cette erreur grave, vis-à-vis des populations européennes et de l’opinion américaine. Après que l’hypothèse d’une mise en liberté eut été évoquée sans être retenue, j’ai, à un moment, proposé “de placer les cinq dirigeants FLN à la Mosquée considérée comme un asile religieux”. Il apparaissait néanmoins, progressivement, que le gouvernement endosserait cette erreur… Le “Conseil restreint” avait duré une demi-heure. »
    Dans le silence qui plane, Alain Savary présente sa démission. Pierre de Leusse, ambassadeur en Tunisie, agira de même.
     
    Donc, le gouvernement français a entériné le fait accompli. L’opération, sur le plan de la guerre, s’est révélée totalement négative. Loin de se laisser émouvoir, la résistance intérieure algérienne va raidir son action. Deux jours après

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