C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
voix :
— La mort a accompli son œuvre.
C’est ainsi que Julia Rajk apprendra que son mari vient d’être pendu. Rakosi a ordonné à Kadar d’assister à l’exécution de l’ami que, malgré lui, il a contribué à conduire au gibet. L’ancien préfet de police de Budapest, Sandor Kopacski, confirme l’information et ajoute que Rajk, avant de mourir, aurait crié au visage de son ami :
— Janos, tu m’as trompé (71) .
Rajk a été pendu. D’autres ont été pendus, Bela Szasz, pour un crime imaginaire, a été condamné à dix ans et ne sera libéré que cinq ans plus tard. On est au plein de la grande terreur hongroise. Jusqu’au début de 1953, environ deux mille personnes seront exécutées. Les prisons politiques, ainsi que les camps d’internement, accueilleront 200 000 prisonniers, près de 2 % de la population.
Face à 250 000 Hongrois en colère, Bela Szasz vient de s’écrier :
— Nous n’oublierons pas !
Il descend de l’estrade. En l’honneur des réhabilités, une salve crépite. Mais il n’est au pouvoir d’aucun gouvernant de ressusciter les morts. Les quatre cercueils ont été descendus dans leurs tombes. À peine celles-ci sont-elles refermées qu’elles disparaissent sous les fleurs. L’une des couronnes est cernée d’un ruban qui porte les mêmes mots : « Nous n’oublierons pas ! » que ceux lancés par Szasz dans le micro.
Des rangs de la foule qui défile, un homme sort pour embrasser Julia Rajk. Il s’appelle Imre Nagy.
2. L’insurrection
Un bel homme de soixante ans, du type que les étrangers attribuaient traditionnellement aux nobles hongrois de la Belle Époque, tel se présente Imre Nagy : abondante moustache grise, regard droit et franc, voix grave et bien timbrée. En fait, ce prototype d’aristocrate est fils de paysan. Depuis son plus jeune âge, il a opté pour la révolution et adhéré avec élan, dès 1919, à la République soviétique hongroise de Bela Kun. Son engagement s’est révélé si total qu’il a dû s’expatrier après l’échec. Il a émigré en Russie. Rentré en Hongrie en 1945, il s’est fait le promoteur du partage des terres. Son renom auprès des masses paysannes date de là (72) .
Sous Rakosi, il n’était pas bon d’être populaire. Pendant huit ans, Imre Nagy a été écarté du pouvoir et, de ce fait, n’a pris aucune part aux crimes perpétrés durant la même époque.
Quand il devient Premier ministre, les Hongrois y voient une conséquence directe de la mort de Staline. Nagy ne déçoit pas les espoirs mis en lui. Il ouvre les portes des prisons, décrète une amnistie, permet aux paysans de quitter les kolkhozes pour exploiter leurs propres terres. Le prolétariat ouvrier se plaignait des cadences infernales en usage dans l’industrie ; Imre Nagy fait adopter la journée de huit heures. Il redonne leur place aux intellectuels. Il inaugure « l’avènement d’une ère plus libérale pour l’esprit ».
Rakosi, resté premier secrétaire du Parti, enrage de voir Nagy marquer des points. En mars 1955, profitant du limogeage de Malenkov en URSS, il obtient son renvoi. Brutalement annoncée, cette retraite est accueillie par les Hongrois comme une catastrophe nationale. Dès lors, le « Vieux » – comme on l’appelle – se mue en figure légendaire. Condamné pour opportunisme et déviationnisme de droite, il est évincé du Parti mais, quand il apparaît en public, bonhomme, jovial, quand il parle avec son accent de terroir savoureux, on l’acclame. Un témoin se souvient : « L’été 1956, je l’ai rencontré à la terrasse du restaurant aménagé sur un bateau amarré en permanence près du pont Lanchid, sur le Danube. Il était arrivé à l’improviste, en compagnie de sa femme. En quelques minutes, un attroupement s’était formé sur le rivage, pour apercevoir l’ex-Premier ministre, et le contempler dans un recueillement quasi religieux. »
Cette position toute particulière a été remarquablement décrite par le rapport de l’ONU sur les événements de Budapest : « Nagy est devenu, à l’intérieur du Parti, l’un des leaders des groupes antistaliniens, et l’avocat d’une politique de libéralisme. Il avait des admirateurs au-delà du cercle limité des communistes. Plusieurs témoins ont déclaré au Comité que, bien qu’Imre Nagy fût du Parti, ils le considéraient comme un bon Hongrois , un homme honnête, compétent et
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