C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
exclut sur-le-champ Tibor Dery du Parti. Rakosi aurait voulu aller beaucoup plus loin. Moscou l’en empêche. L’heure n’est plus à la répression.
Ou ne l’est pas encore.
En juillet, on voit paraître, à Budapest, le premier vice-président du Conseil de l’Union soviétique, Mikoyan, bien connu pour ses dons de diplomate et flanqué – par souci d’équilibre ? – de Souslov, le doctrinaire. L’un et l’autre jugent très vite que Rakosi, décidément, a fait son temps. En quelques minutes, son sort est réglé. Il doit laisser la place à Ernö Gerö, pourtant largement associé à la terreur de 1949-1952. En fait, les missi dominici de Moscou ont paré au plus pressé. Sans doute espèrent-ils que leur manœuvre fera illusion et que Gerö pourra se forger une virginité nouvelle. De plus, Mikoyan et Souslov vont faire entrer à la direction du Parti des hommes « neufs », tel Janos Kadar, sorti des geôles où Rakosi, en 1950, l’avait emprisonné après l’avoir fait condamner, comme espion titiste, aux travaux forcés à perpétuité. Libéré après la mort de Staline, réduit à l’état de loque humaine, Janos Kadar a été réintégré dans le Parti. En juillet 1956, il devient l’un des secrétaires du Comité central du même Parti. L’historien doit apprendre à ne s’étonner de rien.
La nouvelle direction proclame sa volonté d’accélérer la démocratisation, de faire revivre le Front populaire patriotique, d’accroître le rôle du Parlement et des syndicats et de rendre plus de liberté aux écrivains et aux artistes.
Car les intellectuels s’agitent toujours.
Tout se précipite. En Pologne, Gomulka, accusé de déviationnisme en 1949, emprisonné de 1951 à 1955, est réhabilité. Le premier secrétaire du Comité central, Ochab, doit reconnaître que les émeutes de Poznan découlaient directement des fautes du gouvernement. En octobre, c’est l’extraordinaire virage polonais, l’élection, le 19, d’un nouveau Politburo dont la composition marque une profonde volonté de changement, voire une réforme du régime. C’est, le même jour, l’arrivée impromptue à Varsovie de Khrouchtchev, Kaganovitch, Mikoyan, Molotov, mais aussi celle du maréchal Koniev, commandant en chef des troupes du pacte de Varsovie, escorté de plusieurs généraux. C’est au cours d’un bouleversant face-à-face au palais du Belvédère que les Polonais parviennent à convaincre les Soviétiques que, s’adonnant à une politique plus libérale et plus nationale, ils resteront fidèles à l’alliance avec le grand voisin. Le lendemain 21, le nouveau Bureau politique polonais désigne Gomulka comme premier secrétaire.
À toute allure, à l’Est comme à l’Ouest, les rotatives tournent, répandant à des millions d’exemplaires la nouvelle du plus important changement survenu en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Les radios ne parlent que de cela, celle de Hongrie comme les autres qui, de bulletin en bulletin, narre, dans tous ses détails, le coup de théâtre polonais.
Les Hongrois apprennent qu’Ernö Gerö, avec plusieurs dignitaires communistes, est parti rencontrer Tito à Belgrade. Tito ! La vipère lubrique, le traître voué par Staline à toutes les exécrations. Tito rentré en grâce. De plus en plus, si l’on se veut un dirigeant communiste conséquent, il faut savoir assouplir son échine. Ce qui fascine les Hongrois, ce sont les informations de Pologne. Que dit, le 22 octobre 1956, la radio de Budapest ? Ceci : « L’élection de Wladislaw Gomulka au poste de premier secrétaire du parti polonais a été saluée avec une très vive satisfaction. Bien des passages du discours de Gomulka devant le Comité central du parti unifié ont trouvé un écho profond parmi les travailleurs hongrois… Ce qui a le plus retenu l’attention, c’est le ton du discours, sa franchise et sa sincérité dans l’énumération des difficultés économiques et des problèmes politiques, et cela n’est pas un hasard. En feuilletant les journaux hongrois, on tombe souvent sur des articles analysant et critiquant la situation de notre pays. Notre opinion publique, comme notre presse, exige toute la vérité sur nos problèmes. Cette revendication est normale, car, par la faute des dirigeants écartés récemment du pouvoir, la vérité a subi bien des entorses. Ils nous ont laissé un lourd héritage de honte et de difficultés économiques. Dans le discours
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