Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
d’obtenir pour
toute récompense de mes efforts la direction de la Maison de La Mine ?
— C’est une charge plus qu’honorable.
— Cette charge, je vais devoir l’exercer sous la
responsabilité de Dom Martim Behaim, le plus fieffé coquin que je connaisse,
qui ne songe qu’à une chose, s’approprier les exploits des autres. Pensez-vous
qu’il me soit particulièrement agréable de constater que le roi n’a pas même
daigné faire de vous, qui fûtes un loyal compagnon, un chevalier de l’ordre du
Christ, alors que vous le méritiez mille fois plus que ce prétendu érudit, ou
que votre frère ?
— N’ai-je pas droit, en effet, à la noblesse ?
— Vos futurs exploits vous la procureront, j’en suis
persuadé. En tous les cas, je veux réparer, à ma manière, cette ingratitude,
messire Cristovao, sans rien trahir de la fidélité que je dois à Dom Joao,
envers et contre tout. Sachez-le, il se passera encore des années et des années
avant que nous puissions véritablement emprunter la route que j’ai découverte.
Il nous faut des navires beaucoup mieux équipés que nos caravelles et nos nefs
pour affronter les terribles tempêtes du Cap de Bonne-Espérance. Il nous faudra
aussi beaucoup de temps pour explorer ces côtes et les remonter jusqu’à l’Inde.
C’est pour cela qu’on m’a confié la direction de la Maison de La Mine et non
une nouvelle flotte. C’est une affaire de longue, très longue haleine. Martim
Behaim le sait et il usera de tous les artifices et intrigues dont il est
capable pour que cela dure le plus longtemps possible. En partant du cap des
Tigres, je ne me suis pas dirigé par hasard vers l’ouest. J’ai songé à nos
conversations de jadis et à ce que vous disiez de certains vents et courants.
Tout comme vous, j’ai la conviction qu’une route existe en direction de Cypango
et d’Antilia. J’ai tenté d’en convaincre, mais en vain, José Vizinho et Martim
Behaim. Ce dernier ne veut pas en entendre parler et je le soupçonne d’avoir
délibérément induit Dom Joao en erreur. Ce sacripant et son beau-père, le
capitaine-donataire de Faïal, ont délibérément envoyé sur une fausse route ce
pauvre Fernao d’Ulimo pour vous perdre dans l’esprit du roi et ne pas voir
leurs stupides préjugés être démentis par les faits. De la sorte, ils ont porté
un coup fatal à mes propres projets et me condamnent à des années d’inaction
ici, à Lisbonne, à surveiller la Maison de La Mine et à n’être plus qu’une
sorte de commis derrière des registres et des livres de comptes, loin de la mer
qui est ma seule raison de vivre. Voilà pourquoi je vous ai fait ces
confidences. Vous avez du temps devant vous, utilisez-le à bon escient pour
réaliser votre propre rêve. Si vous le faites, vous me vengerez de José Vizinho
et de Martim Behaim. À ceci près que vous devez vous en tenir à votre rêve et à
la route que vous avez devinée. Car, si vous cherchiez à m’abuser et si
j’apprenais que vous naviguiez dans les parages que j’ai découverts, je
n’hésiterais pas un seul instant à vous poursuivre de baie en baie et de crique
en crique pour vous pendre, vous et vos hommes, haut et court aux mâts de mes
bateaux.
*
Antonio de Marchena l’avait prévenu, il serait surpris par
le logement qui lui serait réservé. Il n’avait pas menti. À son arrivée au camp
royal, un page l’avait conduit dans ses appartements, une grotte creusée à même
la craie, une cueva comme il en existait des dizaines tout autour. Elle était
meublée avec soin, délicieusement fraîche pendant les heures les plus chaudes
de la journée, fort agréable à vivre le soir quand les torches dessinaient
d’étranges figures sur ses murs. Le custode l’y rejoignit et fit bon accueil à
Cristobal :
— Comme vous le voyez, votre cause progresse. Vous
voilà logé avec les plus proches conseillers de la reine et sur un pied
d’égalité avec eux. C’est plutôt de bon augure.
— À ceci près qu’ils ont les moyens de tenir leur rang,
ce qui n’est pas mon cas depuis que le comte de Medina Celi a cessé de me
verser une pension au motif qu’il revenait à la Couronne de subvenir à mes
besoins. Sans la générosité de Jacob de Torres et de Marwan Ibn Kurtubi, je
n’aurais même pas pu louer une mule pour faire le chemin depuis Cordoue.
— Je sais combien est pénible et précaire votre
situation, surtout depuis que Dona Beatriz vous a donné
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