Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
qui ne
s’étaient point terrés chez eux. Aux côtés du frère Juan Perez, Cristobal
savourait l’événement. C’était un grand jour pour la Castille, l’Aragon et,
surtout, la Chrétienté. C’est à ce moment-là qu’il aperçut dans la foule
Abraham Senior, en grande conversation avec un inconnu. Sans se faire
remarquer, il s’approcha et tendit l’oreille :
— L’heure est aux réjouissances, sauf pour nous qui
servons la Couronne et sommes toujours sur la brèche. Tandis que ces drôles-là
s’amusent, me voilà obligé de rentrer à Santa Fé et d’expédier à un Génois de
ma connaissance une lettre dont chaque mot lui rentrera dans la gorge. Leurs
Majestés ne veulent plus entendre parler de lui et de ses projets insensés et
le lui diront dans trois jours lors d’une audience de congé.
— J’avais cru qu’il était plutôt très en cour puisqu’il
séjourne ici depuis plusieurs semaines.
— Sans avoir appris l’art de survivre dans un tel
milieu. C’est un rustre qui ne réfléchit à aucun de ses gestes. J’en ai
largement abusé car son entreprise gêne considérablement l’exécution de
contrats dont j’espère un bon bénéfice et, surtout, la possibilité pour nous
deux de faire sortir d’Espagne une partie de notre fortune. À l’annonce de la
signature de la reddition, j’ai donc suggéré à cet idiot, qui était venu
m’assommer avec ses exigences, d’envoyer une lettre de félicitations à la reine
Isabelle. Le résultat a dépassé mes espérances. Il l’a couverte de louanges,
mais s’est abstenu d’en faire de même avec le roi Ferdinand auquel il n’a pas
daigné faire l’aumône d’une lettre. En un mot, et c’est ce qu’il écrit
textuellement, tout le mérite revient à la Castille et l’Aragon n’est pour rien
dans la prise de Grenade. Je vous donne à penser si pareille affirmation a plu
au roi quand j’ai pris la peine de la lui faire connaître.
— Pourquoi diable l’avez-vous fait ? Vous êtes au
service de la Castille et non de l’Aragon.
— Je te l’ai dit. J’ai un triste pressentiment. Il se
prépare ici des choses dont tu n’as point idée et qui me terrifient rien qu’à y
songer. La reine, conseillée par ce damné Torquemada, rêve de nous chasser de
ses États. Je le sais, enfin, je le pressens. Nous ne lui sommes plus d’aucune
utilité maintenant que sa bannière flotte sur l’Alhambra. Voilà pourquoi je
fais désormais ma cour à l’Aragon en espérant que cette division entre les deux
monarques retardera le décret qui plane au-dessus de nos têtes et nous laissera
le temps de mettre à l’abri nos avoirs. Pour cela, il nous faut des bateaux,
beaucoup de bateaux. Je ne suis pas mécontent du résultat. Ferdinand a si bel et
bien tempêté qu’il a obtenu de la reine, qui ne savait comment se faire
pardonner, le bannissement de ce fâcheux. Nous voilà débarrassés de lui et de
ces sottes idées de naviguer jusqu’à Cypango. Tenez la nouvelle secrète. Je
veux qu’il tombe de haut quand il l’apprendra de la bouche même de sa
protectrice sans en connaître l’exacte raison. L’évoquer publiquement serait
ajouter à l’insulte déjà faite à Don Ferdinand.
*
Le 30 juin 1487
De Luis de Santangel à Luis de La
Cerda,
comte de Medina Celi
La Reine me charge de vous communiquer qu’Elle ne
souhaite pas vous associer aux entreprises maritimes qu’Elle projette. C’est
donc à perte que vous continuez à fournir des subsides à ce Génois. J’ai voulu
vous en prévenir par amitié envers Votre Grandeur.
Luis de Santangel.
*
Le 28 mai de l’an de grâce
1489
Du frère Juliao, portier du
monastère de Tous les
Saints, à Diogo Ortiz de
Vilhegas, évêque de Ceuta
Ta Grandeur aura plaisir à apprendre que ses ordres ont
été exécutés. Je ne sais trop ce qui te pousse à faire encore confiance à
messire José Vizinho, si ce n’est l’espoir de rentrer un jour en grâce auprès
de Dom Joao. J’ai suivi tes recommandations et les siennes et demandé à
Bartolomeu Dias de faire à notre Cristovao de fausses confidences sur les
dangers et les difficultés de la route qu’il a découverte. Il m’a affirmé qu’il
s’en était acquitté avec zèle, et ce d’autant plus qu’il ne lui déplaisait pas
de pouvoir ainsi dire du mal de ce Martim Behaim qui est la cause de tous nos
malheurs.
Je suis ton humble serviteur,
Frère Juliao.
*
Le
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