Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
l’Italie un essor sans précédent. L’opération que tu médites est sans
précédent et, ainsi que je te l’ai expliqué, elle nécessitera l’accord de tous
les armateurs des différents ports. Les avances que tu veux bien leur consentir
et dont je les ai informés t’assurent de pouvoir disposer de leurs navires à ta
guise, au détriment d’autres expéditions.
Martin Pinzon.
*
Le 2 janvier de l’an de
grâce 1492,
jour de l’entrée des troupes
d’Aragon et de Castille
à Grenade enfin délivrée du joug
des Maures
À Luis de Santangel, trésorier de
la Maison
du roi d’Aragon
Noble seigneur,
Tu ignores qui je suis et sans doute ne le sauras-tu
jamais. J’ai toutefois mille raisons de t’être reconnaissant. Sache donc que ta
place est convoitée par le Juif Abraham Senor qui t’a joué un tour à sa façon
en s’introduisant dans les bonnes grâces du roi et en obtenant la disgrâce de
l’un de tes protégés, un certain marin génois.
Sache que celui-ci, informé de cette affaire, quittera
demain, sans espoir de retour, le camp de Santa Fé.
Peut-être comprendras-tu le fin mot de l’affaire si je
t’apprends qu’Abraham Senor s’est entendu avec plusieurs banquiers et
négociants génois, vénitiens et florentins pour faire sortir du royaume
d’importantes quantités de marchandises qui nécessitent la mise à sa
disposition de la quasi-totalité de nos navires dans les mois à venir.
J’ai tenu à ce que tu en sois informé.
9
Amiral de la mer Océane
À Pinos Puente, l’arrivée des cavaliers avait fait forte
impression. Ils étaient entrés au galop dans le village et avaient mis pied à
terre devant l’église, flattant leurs montures épuisées par une longue course.
Leur chef, un homme de belle prestance, avait fait venir l’alcade. Ce dernier
n’en menait pas large. Deux jours auparavant, Rodrigo Romero avait refusé de
céder du fourrage à des chevaliers qui se rendaient à Grenade et qui
affirmaient être autorisés à réquisitionner tout ce dont ils avaient besoin.
Depuis des mois, il ne se passait pas un jour sans qu’il eût à pourvoir à
l’entretien des messagers qui faisaient la navette entre le camp royal de Santa
Fé et Cordoue. Ceux-là au moins étaient munis d’ordres de réquisition dûment
signés et apposaient leurs signatures au bas du registre ouvert par l’algazil.
Ce n’était pas le cas de ces seigneurs qui, furieux de sa réponse, l’avaient
insulté et lui avaient promis qu’ils reviendraient sous peu lui faire payer son
insolence. Ces nobles étaient pires que les Maures qui avaient longtemps été
les maîtres de Pinos Puente. Des maîtres durs, exigeants, capricieux, mais
respectueux des usages et des lois. L’alcade regrettait amèrement son
emportement. Ses offenseurs avaient tenu parole. Ils s’étaient plaints auprès
de leurs protecteurs et avaient obtenu satisfaction. Ces soudards venaient
mettre à sac son village.
Tête découverte, il s’apprêtait à se lancer dans une longue
explication et à demander merci quand son interlocuteur l’interrompit en
l’interrogeant sur un voyageur en provenance de Grenade et qui chevauchait sur
une mauvaise mule. L’avait-il vu passer ? Rodrigo Romero acquiesça. Un
homme était effectivement arrivé la veille au soir et s’était fait indiquer
l’auberge située derrière l’église. Il avait l’air fourbu et comme désespéré,
souffrant en outre d’un fort accès de fièvre. Il s’était enfermé dans sa
chambre et avait sèchement renvoyé l’aubergiste quand celui-ci était monté le
voir et lui avait proposé de venir dîner à sa table et de raconter à lui et aux
clients l’événement dont tous parlaient : la chute de Grenade.
Assurément, c’était là un drôle de Chrétien ! Chrétien,
il l’était car les enfants avaient remarqué qu’il s’était signé en passant
devant l’église. Reste qu’il ne partageait pas la joie de ses frères, cette
allégresse qui les submergeait à l’idée que toute l’Espagne était redevenue
entièrement chrétienne. L’aubergiste avait rapporté le fait à l’alcade en le
suppliant de communiquer le signalement de ce coquin au premier agent de
l’inquisition qui viendrait à passer par leur village. Ce sacripant rôtirait
bientôt sur le bûcher comme tous les hérétiques de son espèce. Si c’était là
l’homme mentionné par son interlocuteur, celui-ci n’aurait aucun mal
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