Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
de ses
interlocuteurs l’utiliserait. Il saurait d’emblée que c’était à lui et à lui
seul qu’on s’adressait.
Jacob de Torres s’approcha de lui et le tira de ses
rêveries :
— Tu oublies qu’il te reste une chose à accomplir pour
être réellement amiral des mers Océanes. Il te faudra auparavant arriver à
Cypango puis en revenir, chargé d’or et d’épices.
— En douterais-tu ?
— Ne me demande pas de croire en quoi que ce
soit ! Je ne suis pas d’humeur à le faire. On exige de moi, pour pouvoir
rester en Espagne, que je change de religion, sans se préoccuper de savoir si
la grâce m’a touché et si je tiens pour une évidence aussi patente que l’air
que je respire les mystères de la Trinité et de l’incarnation. Tu vois que le
frère Perez se préoccupe fort de mon instruction religieuse.
— Tu ne réponds pas à ma question.
— Comment pourrais-je savoir ce que tu ignores
toi-même ? Tu pars pour vérifier si tes hypothèses sont conformes à la
réalité. Tu as des espérances, raisonnablement fondées, ce ne sont pas pour
autant des certitudes. Tu n’as peut-être pas tort mais c’est là question de
foi. C’est une matière en laquelle j’avoue mon ignorance et mon incompétence.
C’est à toi de me prouver le contraire. À moi mais à d’autres aussi qui se
réjouiraient de ton échec.
— Insinues-tu que Juan de Coloma s’est montré plus que
généreux et conciliant uniquement parce qu’il sait qu’il n’aura jamais à tenir
les engagements qu’il a pris au nom de Leurs Majestés ?
— C’est un homme prudent. Il n’aurait jamais été se
mettre dans un guêpier. Mais ta réussite pourrait susciter bien des convoitises
et des jalousies. Certains pourraient chercher à t’empêcher de recevoir le prix
de tes efforts.
— À tort car ils pourraient être surpris de ce à quoi
je veux employer ma fortune.
— C’est un sujet sur lequel, en dépit de mes demandes,
tu es resté toujours très discret. Cela m’a profondément embarrassé lors de ces
négociations. J’aurais pu obtenir pour toi quelques avantages et privilèges
supplémentaires si tu avais consenti à t’expliquer.
— Je n’ai pas voulu le faire car ce n’est pas à moi de
disposer des biens qui reviennent à Dieu notre Sauveur.
— Je n’entends rien à tes fichus discours. Signe-moi
plutôt ces papiers, que je puisse repartir dès demain pour Grenade et les
transmettre à Juan de Coloma.
— Comment te remercier ?
— En t’occupant de l’essentiel.
— C’est ce que j’ai fait des années durant.
— En oubliant une simple chose.
— Laquelle ?
— Celle d’avoir à changer de monture. Il ne sied plus à
un futur amiral de se servir d’une mule pour ses voyages.
— Si tu y tiens tant, je ferai la dépense d’un bon
cheval.
— Veille à ce qu’il ait les pattes robustes pour nager
jusqu’à Cypango. Car, amiral, ce qui te manque le plus pour l’instant, ce sont
des navires.
*
Alvaro Alonso Cosio et Diego Rodriguez Prieto piétinaient
sur le parvis de l’église Saint-Georges de Palos. Martin Pinzon, l’un des
principaux armateurs de la ville, leur avait intimé l’ordre de l’attendre là,
ce 23 mai 1492, avec leurs adjoints, pour une communication de la plus
haute importance. Il s’était refusé à en dire plus, les prévenant toutefois que
toute désobéissance de leur part leur vaudrait de sérieux ennuis. C’étaient
bien là des manières dignes de ce maudit Pinzon, l’armateur le plus réputé du
comté de la Niebla, vantard, roublard, fort en gueule, disposant de solides
appuis à la cour et à l’Amirauté de Castille. Le port regorgeait de ses bâtards
qu’il employait comme mousses sur ses navires et auxquels il infligeait le
fouet à la moindre faute. Avec cela, il était adoré par la population qu’il
secourait lors de la mauvaise saison quand la houle empêchait les navires de
franchir la barre de Saltès. Ses frères et ses cousins le renseignaient sur
tout ce qui se passait à Palos, Moguer et Huelva. Un marchand de Séville avait
eu la mauvaise surprise de constater que plus aucun capitaine ne voulait
travailler avec lui au motif qu’il était perclus de dettes et sur le point
d’être condamné à une lourde amende. Le malheureux avait vite compris que ses
ennuis avaient commencé quand il avait envoyé l’un de ses commis à Palos. Celui-ci,
délaissant ses contacts habituels, avait signé
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