Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
nous
avons changé d’avis et que, pour remercier Don Luis de ses loyaux et excellents
services, nous lui avons confié le soin d’envoyer une flotte à Cypango sous les
ordres de votre Génois. À condition, toutefois, que l’on retrouve celui-ci et
qu’il vienne nous en dire plus sur cette affaire.
*
Par petits groupes, des hommes se faufilaient dans les ruelles
de l’aljama de Cordoue et s’engouffraient dans la grande synagogue où les
attendaient les anciens de la communauté. Ils avaient l’air grave et préoccupé.
Quelques-uns priaient en silence, les autres se tenaient serrés les uns contre
les autres, observant à la dérobée leur chef, Abraham de Lucena, qui se tenait
près de l’entrée et saluait d’un bref signe de tête les arrivants. La nouvelle
avait été rendue publique le matin même par les crieurs de rue.
Par un décret en date du 31 mars 1492, signé à Grenade
par Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, tous les Juifs de leurs
domaines se voyaient intimer l’ordre de les quitter dans un délai de trois
mois, après liquidation de leurs biens et avoirs. Seuls ceux qui accepteraient
le baptême seraient autorisés à demeurer sur place et à conserver leurs
propriétés. Pour les autres, c’était l’exil et, pire, la mort s’ils étaient
trouvés en Espagne après cette date.
Abraham de Lucena, la voix tremblante d’émotion, prit la
parole, expliquant que cette mesure cruelle n’était pas définitive. D’après ce
qu’il savait, les deux Juifs les plus considérables d’Aragon et de Castille,
Isaac Abrabanel et Abraham Senor, déployaient d’intenses efforts pour amasser
une somme considérable, plusieurs millions de maravédis, dont ils feraient don
à la Couronne en échange de l’annulation du décret. Le Dieu d’Israël
n’abandonnerait pas Ses enfants et leur permettrait de continuer à vivre sur
cette terre où ils s’étaient installés depuis des temps immémoriaux. Nul ne
devait céder à la panique. D’ailleurs, pressentant la catastrophe, Abraham
Senor avait pris ses précautions et, sacrifiant une partie de sa fortune, avait
affrété des dizaines de navires pour, le cas échéant, transporter ses
coreligionnaires en Berbérie ou au Portugal si le pire arrivait. Pas un seul ne
serait abandonné à son triste sort. Les plus riches paieraient pour les plus
pauvres. Puisqu’ils ne pourraient sortir or et argent du royaume, ils
emporteraient leurs avoirs sous forme de marchandises. Ces navires et ces cargaisons
seraient leur sauf-conduit et leur gagne-pain dans les rudes épreuves qui les
attendaient au cas où le Rocher d’Israël n’étendrait pas sur eux sa protection.
La foule s’était dispersée, silencieusement. Telle était la
scène que Jacob de Torres venait de raconter à ses amis réunis dans la boutique
de Leonardo de Esbarraya, ajoutant :
— Pour ma part, ma décision est prise, même si elle me
coûte. J’ai toujours vécu à Cordoue et j’imagine mal mener l’existence d’un
proscrit. J’accepterai donc le baptême. Ma seule consolation sera que je
pourrai alors traiter d’infidèle ce bon Marwan, dont les méfaits ne sont pas
assez grands pour qu’on le chasse d’ici.
— Cela arrivera peut-être un jour. Pour le moment, je
remercie Allah le Tout-Puissant et le Miséricordieux de m’éviter d’avoir à
faire un choix.
Cristobal les interrompit :
— Le frère Juan Perez m’avait prévenu que tu serais
bientôt connu sous le nom de Luis de Torres et m’a demandé d’être ton parrain.
J’ai accepté avec joie. Rien ne peut plus me satisfaire que l’idée de continuer
à t’avoir à mes côtés. Tes compétences nous ont été fort utiles lors des
négociations qu’il a menées pour moi avec la Couronne et son représentant, Juan
de Coloma.
— C’est un homme de bonne composition. Il a beaucoup
d’estime pour toi et je le crois sincère. Il s’est montré très conciliant.
Voici les dernières propositions qu’il a faites et qui attendent ton
approbation. Dès que tu me l’auras donnée, je partirai pour Grenade afin de les
faire enregistrer.
Cristobal se saisit des documents et, le visage empourpré,
lut à haute voix :
— Ce que Don Cristobal Colon sollicite que Vos
Altesses lui donnent et accordent en quelque rémunération de ce qu’il a
découvert en les mers Océanes, et du voyage qu’à présent, avec l’aide de Dieu,
il va entreprendre sur ces mers au service de Vos
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