Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
possessions portugaises. Ramenés à
Lisbonne, leurs équipages, après un procès expédié en quelques minutes, avaient
été pendus. Leurs cadavres pourrissaient au soleil et des matelots se livraient
parfois à de macabres plaisanteries en saluant bien bas ce qui restait de leurs
anciens compagnons de débauche, priant le Ciel pour que pareil sort leur soit
épargné.
Mestre Estevao, la voix tremblante de peur, avait révélé à
Bartolomeo que la situation avait empiré après que le roi Afonso V eut
accordé à Fernao Gomes, moyennant le paiement d’une rente annuelle de vingt mille
réaux, le monopole des voyages à la côte de Guinée. À charge pour lui
d’explorer, quatre années de suite, cent nouvelles lieues. Ses pilotes
s’étaient acquittés de cette tâche, découvrant des contrées où nul Chrétien
n’avait encore jamais mis les pieds. Pourtant, ces hardis navigateurs avaient
fini par se lasser. Plus ils descendaient vers le sud, plus l’horizon se
dérobait devant eux. La mer Océane paraissait n’avoir jamais de fin et
l’Afrique s’étirer progressivement tel un serpent déployant ses anneaux. Il y
avait là quelque chose de terrifiant qui décourageait les meilleures volontés.
À quoi bon poursuivre ces voyages s’ils se limitaient à relever des dizaines de
caps et de baies. À ce rythme, tous les saints du calendrier ne suffiraient pas
pour leur donner un nom.
Capitaines et pilotes l’avaient noté dans leurs rapports,
les souverains indigènes rencontrés ignoraient ce qui se trouvait au sud de
leurs domaines mais affirmaient être les vassaux d’un monarque richissime,
vivant dans l’intérieur des terres, heureux propriétaire d’innombrables et
inépuisables mines d’or dont il envoyait la production tantôt vers la côte de
Guinée, tantôt vers Tombouctou. Plutôt que de continuer à descendre vers le
sud, c’est avec lui qu’il fallait entrer en relation afin de le convaincre de
commercer exclusivement avec les Portugais.
Forts de cette conviction, Fernao Gomes et ses associés
avaient refusé, en 1475, de renouveler le contrat qui les liait à la Couronne.
Plus question pour eux de servir de limiers à celle-ci et de repousser sans
cesse les limites du monde connu. Si le roi tenait tant à ces fastidieux
voyages de découverte, il n’avait qu’à les financer sur sa cassette
personnelle, ou en levant de nouveaux impôts sur les Juifs et les Maures.
Selon mestre Estevao, c’est alors que les frères de Sagres
avaient fait parler d’eux. Admirateur du défunt prince Enrique le Navigateur,
qui avait comblé de largesses leur père, ils avaient pris l’habitude de se
réunir les uns chez les autres pour mettre en commun leurs idées et se prêter
mutuelle assistance. Ils avaient réussi à se concilier les faveurs du prince
héritier, Dom Joao, le véritable maître du pays depuis que son père, Afonso,
après avoir abdiqué puis repris la couronne, s’était retiré dans son palais de
Cintra. Ils l’avaient convaincu que rien n’importerait plus à sa gloire que de
réaliser le rêve de son grand-oncle : contourner l’Afrique, trouver le
passage vers l’Asie et entrer en contact avec le Prêtre Jean.
En fait, comme le comprit Bartolomeo, le petit peuple avait
donné le nom de « frères de Sagres » aux membres de la « junte
des mathématiciens » constituée par le médecin du prince héritier, José
Vizinho. Une singulière confrérie que celle-là, composée de Maures, de Juifs et
de Chrétiens assez oublieux des souffrances du Christ pour oser s’asseoir avec
des Infidèles. Existait-elle réellement et était-elle aussi puissante qu’on le
prétendait ? Nul n’osait le vérifier. Ses membres s’étaient montrés assez
habiles pour que l’on voie en eux une institution quasi officielle à laquelle
tous devaient respect et obéissance. Mestre Estevao en était le premier
convaincu et, tout en se disant effrayé par eux, il laissait entendre que les
frères de Sagres lui accordaient leur protection et lui avaient octroyé le
monopole de la confection des cartes de la côte de Guinée. C’est à eux et à eux
seuls qu’il devait les vendre après les avoir réalisées sur les indications de
leurs pilotes. En échange, le Génois pouvait monnayer comme bon lui semblait
aux armateurs et aux capitaines ses cartes de la mer Intérieure, du Golfe de
Gascogne ou de la Manche, des cartes qui avaient établi sa réputation.
Les confidences de
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