Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
avait
écrit une lettre fort désagréable. Il prétendait avoir fait l’avance à sa sœur
de grosses sommes sur la part à venir des revenus qu’elle tirait de ses biens à
Porto Santo, et lui en avait exigé le remboursement immédiat à moins que
Cristovao ne s’engageât par écrit à renoncer aux droits qu’il tiendrait de Dona
Felippa pour lui et son fils. Pis, il constata que des bruits étranges
commençaient à circuler sur son compte en ville. Certains négociants
l’évitaient ostensiblement et d’autres, qui lui devaient de l’argent, se
faisaient tirer l’oreille pour s’acquitter de leurs dettes. L’un d’entre eux,
un Génois qu’il savait être honnête homme, finit par lui révéler le fin mot de
l’affaire.
— On dit que vous coucherez bientôt en prison, à la
demande du capitaine-donataire de Porto Santo, votre parent, qui a le bras long
à la cour. N’oubliez pas qu’aux yeux des habitants de ce pays vous êtes un
étranger. De surcroît, vous avez eu le grand tort d’être longtemps au service
de ce Juif, Eleazar Latam, qu’on dit être proche de la banqueroute. Si ses
affaires périclitent, je ne donne pas cher de lui et de ses coreligionnaires.
Et l’on s’en prendra aussi à tous ceux qui furent ses associés. Si j’ai un bon
conseil à vous donner, c’est de prendre vos précautions. Passez en Castille où
vivent certains de vos parents. Vous y trouverez aisément à employer vos
talents.
Cristovao avait tenté de rassurer son compatriote. Son
beau-frère n’oserait jamais mettre ses menaces à exécution. Quant à lui, sous
peu, ses adversaires regretteraient d’avoir cherché à lui nuire. Il savait de
source sûre que le roi Dom Joao s’apprêtait à lui donner une marque éclatante
de satisfaction pour le récompenser de ses bons et loyaux services durant le
voyage à La Mine. Il lui était interdit d’en rien dire mais il aurait une revanche
éclatante.
C’est donc le cœur rempli de confiance qu’il se rendit à la
Maison de La Mine où il avait été convoqué. L’évêque de Ceuta
l’accueillit :
— J’ai beaucoup prié pour vous, mon fils, et je
souhaite que votre foi chrétienne vous donne la force de supporter vos
malheurs. Je suis prêt à vous aider de mes conseils. Ce sera un moyen pour moi
de me faire pardonner le geste de colère que j’ai eu à votre égard et qui
visait vos propos et non votre personne, pour laquelle j’ai la plus haute
estime.
José Vizinho les interrompit :
— Il est temps de reprendre nos débats. Cristovao, nous
avons soigneusement pesé vos arguments. Vous avez cité Marin de Tyr et nous
avons vérifié que, sur certains points, son opinion est partagée par plusieurs
Pères de l’Église, notamment l’illustre Isidore de Séville. Mais jamais il n’a
affirmé qu’il était possible de franchir la mer Océane. Vous êtes le seul à le
prétendre. Or, si tel était le cas, cette possibilité aurait été avancée par de
plus savants que vous en ces questions.
— Mais c’est précisément le cas et c’est un point dont
j’entendais bien faire état le moment venu. Voici la lettre que m’a envoyée
l’illustre Toscanelli. Il le dit clairement : un tel voyage est possible.
Cristovao tendit la missive à José Vizinho qui, à son tour,
la passa à un homme qui se tenait derrière lui. Le mystérieux personnage, un
prêtre, l’examina et murmura quelques mots à l’oreille du médecin dont le
visage s’assombrit.
— Le confesseur du roi, qui a jadis correspondu avec
Toscanelli, est d’avis qu’il s’agit d’un faux. Il n’a pas reconnu l’écriture de
l’illustre savant.
— Et pour cause. J’ai omis de vous préciser qu’il
s’agit d’une copie. L’original est en la possession du frère Juliao, portier du
monastère de Tous les Saints. Faites-le appeler, il vous confirmera le fait.
— Le croiriez-vous, il se trouve que je le connais fort
bien et qu’ayant eu vent de vos fréquentes rencontres avec lui, j’ai pris la
peine de l’interroger sur leurs raisons. Il m’a effectivement raconté que vous
lui aviez remis une lettre et une carte qu’il nous a confiées. Les voici. Les
reconnaissez-vous ?
Cristovao hocha la tête :
— C’est bien cela, et ces documents prouvent que j’ai
raison.
José Vizinho l’interrompit brutalement :
— Là encore, vous vous payez de mots. Le confesseur du
roi les a examinés et affirme qu’il ne s’agit pas de l’écriture
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