Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
faire,
viens chez moi après-demain, à la tombée de la nuit. La chère est bonne et le
vin frais à souhait, je te les présenterai.
Au jour convenu, Cristovao se rendit chez l’apothicaire. Une
table et des bancs avaient été dressés dans son officine. Un brasero chauffait
la pièce éclairée par plusieurs torchères. Les convives avaient commencé à
faire honneur aux mets disposés avec soin et aux pichets de vin. Leonardo de
Esbarraya le salua et s’adressa à l’assistance :
— Voici l’un de mes compatriotes, Cristoforo. C’est du
moins ainsi que nous l’appelons à Gênes. Il serait cependant plus approprié ici
de le désigner sous le nom de Cristobal. Ce sera désormais le sien, du moins
tant qu’il consentira à vivre au milieu de nous. C’est un bon marin et un
cartographe réputé. Tel que vous le voyez, il paraît timide et effacé. N’en croyez
rien. Il a beaucoup voyagé. Il est même allé, comme je l’ai appris par son
fils, jusqu’à la côte de Guinée. C’est dire qu’il n’a pas peur de vous. Quoi
que vous fassiez, vous n’égalerez pas en férocité les animaux qu’il a aperçus
ou les sauvages qu’il a côtoyés. Jusqu’ici, il vivait au Portugal mais a
découvert ce que nous savons tous, à savoir que nos maudits voisins sont gens
de mauvaise composition, querelleurs et vaniteux à l’extrême, chicaneurs et
procéduriers. Faites en sorte qu’il apprécie ce qui nous différencie d’eux et
traitez-le comme s’il était des vôtres. Cela l’incitera peut-être à demeurer au
milieu de nous.
Les convives se présentèrent. Il y avait là Juan Sanchez, un
médecin d’une trentaine d’années, qui avait étudié à l’université de Salamanque
et qui s’était établi à Cordoue, séduit, précisa-t-il, par la douceur de son
climat. Il avait conservé, affirma-t-il, un souvenir détestable des années
qu’il avait passées dans le Nord, surtout des hivers interminables durant
lesquels il grelottait dans la modeste chambre que son propriétaire se refusait
à chauffer. Rien ne valait, à ses yeux, Cordoue, dont les habitants avaient
l’heureuse idée de prendre grand soin de leur santé et de le consulter
fréquemment.
À ses côtés se tenait Marwan Ibn Kurtubi, un Maure
propriétaire de plusieurs oliveraies et d’une huilerie. Grand, fin, la peau
mate, il paraissait ne pas partager l’aversion de ses coreligionnaires pour le
vin. Il s’en expliqua gaiement. Sa famille avait été jadis chrétienne et
s’était convertie à l’islam lors de l’arrivée des Maures. Il n’en était pas
moins un naturel du pays, un véritable Andalou, contrairement, ajouta-t-il sur
le même ton, à son hôte, Génois de nation. Il paraissait bien s’entendre avec
son voisin immédiat, un nommé Jacob de Torres, un lettré juif employé comme
scribe et traducteur chez un notaire. L’homme, qui prétendait connaître
plusieurs langues, s’amusa à questionner Cristobal sur ses lectures, comme s’il
voulait mettre à l’épreuve ses connaissances. Il parut surpris et admiratif
quand son interlocuteur lui narra ses entretiens avec Meshoullam de Volterra.
Visiblement, le marchand florentin avait séjourné à plusieurs reprises à
Cordoue et y avait laissé un bon souvenir.
Le dernier à prendre la parole avait été un certain Rodrigo
Enriquez de Harana. Âgé d’une quarantaine d’années, il affichait avec fierté
son embonpoint et faisait largement honneur aux plats à portée de sa main.
Originaire de la campagne, il possédait un pressoir à raisins et plusieurs
auberges en ville dont celle, disait-il, où était descendu Cristobal.
Visiblement, il était fortuné ou paraissait fort soucieux d’en donner
l’impression, insistant sur les formidables opportunités que Cordoue offrait à
ceux qui ne rechignaient pas au labeur. En riant, il affirma qu’il avait un
point en commun avec leur nouvel ami. Tous deux avaient un fils nommé Diego. Le
sien, gloussa-t-il, était un véritable sacripant qui faisait le désespoir de
ses maîtres par son insolence et sa paresse. Il avait grand besoin d’être repris
en main et le père s’enquit auprès de Cristobal : accepterait-il d’être,
un temps, son précepteur ? Ce n’était qu’une question de mois et il serait
rétribué grassement. De surcroît, la chose allait de soi, il serait hébergé et
nourri gratuitement à l’auberge. Il lui suffirait de s’occuper de Diego le
matin, de lui apprendre un peu de
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