Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
latin et de lui inculquer quelques notions
d’histoire et de géographie. À en croire son père, le caractère de l’enfant le
prédisposait à devenir un jour marin et il était résolu à en faire un bon
capitaine.
Cristobal hocha la tête. Il y réfléchirait. Rodrigo Enriquez
de Harana lui versa un gobelet de vin et l’assura que l’affaire était conclue,
quoi qu’il en dise. Il ferait fonction de précepteur, une fonction guère
absorbante. En fait, comme il le réalisa par la suite, le jeune Diego de Harana
n’avait besoin que d’une chose : qu’on s’intéressât un peu à lui et qu’on
prît le temps de lui expliquer ce qu’il devait apprendre, sans le contraindre à
répéter mécaniquement ses leçons. Autant de choses que ses professeurs avaient
jusque-là négligées, lui faisant constamment honte de son indiscipline.
Le sourire toujours aux lèvres, Leonardo de Esbarraya
expliqua à son compatriote que pareille offre ne se refusait pas. Ce que ne lui
avait pas dit Rodrigo Enriquez de Harana, c’est qu’il possédait une
bibliothèque bien fournie d’une centaine de livres qu’il avait patiemment
constituée en dépensant des sommes folles pour les acquérir. Cristobal y
trouverait sans nul doute son bonheur. Et il serait traité comme un coq en pâte
par la voisine du jeune garçon, Beatriz Nunez de Harana, une orpheline que son
oncle avait recueillie avec son frère, Pedro, à la mort de leurs parents, des
paysans. Le père, Pedro de Torquemada, était un parent éloigné du Grand
Inquisiteur, Tomas de Torquemada, dont le nom, remarqua Cristobal, amena un
rictus sur les visages de Jacob de Torres et de Marwan Ibn Kurtubi. Le premier
s’enhardit même à lancer une remarque acerbe :
— Que la goutte, qui le ronge, emporte ce fanatique !
Il a si peur qu’il ne se déplace qu’accompagné d’une imposante escorte. C’est
dire combien il se sent aimé. J’espère, Cristobal, que vous êtes bon Chrétien
et que vous ne nourrissez pas des pensées hérétiques. Car ce drôle-là ne
manquerait pas de vous les faire passer à sa manière. Cela dit, il a un mérite,
un seul, celui d’être le parent de Beatriz, l’être le plus doux au monde que je
connaisse. Peut-être est-ce à elle que nous devons de pouvoir encore nous
réunir ailleurs que dans une cellule de prison !
Leonardo de Esbarraya d’un signe l’enjoigna de se taire. Il
ne convenait pas de faire reproche à ce bon Rodrigo Enriquez de Harana de sa
parenté, et rien ne devait gâcher le plaisir de cette soirée entre amis. Elle
se termina fort joyeusement à une heure très avancée de la nuit. Cristobal, qui
se faisait à son nouveau prénom, regagna ses pénates, la tête grisée par le
vin. Assurément, la Providence veillait sur lui et avait intentionnellement
placé l’apothicaire sur son chemin.
*
Deux jours plus tard, Rodrigo Enriquez de Harana vint le
trouver, la mine réjouie, pour lui proposer de l’accompagner à Palos où il
devait surveiller le chargement de plusieurs dizaines de tonneaux de vin
destinés à Barcelone. Il allait protester qu’il se sentait encore trop faible
quand le négociant le tança :
— Ne jouez pas au malade, vous êtes plus vigoureux que
n’importe lequel d’entre nous. Nous descendrons en barque le Guadalquivir
jusqu’à Séville et je vous promets qu’elle sera équipée de bonnes couchettes où
vous pourrez dormir tout votre saoul. De là, une courte chevauchée nous
conduira jusqu’à Niebla où nous naviguerons sur le rio Tinto. De la sorte, nous
pourrons deviser et faire plus amplement connaissance. J’ai l’impression que
nous sommes faits pour nous entendre. Et que notre association pourrait être
des plus profitables.
Cristobal ne regretta pas de s’être laissé forcer la main.
Le négociant était un parfait compagnon et, surtout, il lui fit découvrir le
pays qui s’étendait de Niebla à la mer, une contrée faite de marais salins, de
lagunes et d’îles où paissaient des troupeaux de buffles. C’était une terre
emplie de mystères, recouverte le matin d’épais brouillards, où vivait une
population composée de rudes marins. Il put le constater à leur arrivée à Palos.
Les tavernes bruissaient des jurons des matelots et de leurs querelles
incessantes. Ces gaillards ne dédaignaient pas de sortir le coutelas pour
régler leurs différends et Rodrigo Enriquez de Harana dut plus d’une fois
intervenir pour ramener le calme. Chacun
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