Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
en
Castille.
*
Cristovao s’était embarqué par un froid matin de novembre
1485, accompagné sur le quai par Bartolomeo et par le frère Juliao dont le
visage était baigné d’une étrange tristesse. Il contenait ses larmes à
grand-peine, et en oublia même, dans son émotion, de bénir le voyageur. À son
arrivée à Palos, il avait appris que Miguel et Violante Molyarte ainsi que son
fils Diego se trouvaient depuis plusieurs semaines à Cordoue en prévision de
l’installation, dans cette ville, de la cour. Il n’avait d’autre choix que de
s’y rendre et l’avait fait par petites étapes, à dos d’une mauvaise mule conduite
par son propriétaire, un Maure revêche, qui pestait continuellement contre le
mauvais état de la route et contre la présence de brigands dans la région. Il
les décrivait avec tant de précision qu’il devait être plus ou moins de mèche
avec eux. Par prudence, Cristovao lui raconta son séjour dans la Mouraria de
Lisbonne, débitant mécaniquement quelques phrases en arabe que lui avait
apprises Ali. Une manière d’indiquer à son guide qu’il n’était pas tombé de la
dernière pluie et qu’il se faisait fort de deviner ses éventuelles mauvaises
intentions.
Après avoir fait étape à Séville, ville qu’il avait d’emblée
détestée, ils avaient poursuivi leur route par Lora et Palma de Rio, longeant
le Guadalquivir, le grand fleuve, qu’il trouva moins majestueux que le Tage. À
Fuente Palmera, il dut s’aliter pendant deux jours. Le frottement de la selle
sur sa cuisse lui avait provoqué une douloureuse blessure qu’il soigna tant
bien que mal. Il n’était donc pas mécontent d’enfin arriver à Cordoue, et c’est
le cœur allègre qu’il franchit le pont qui, disait-on, avait été construit par
les Romains.
Il n’eut guère de mal à retrouver Miguel et Violante
Molyarte, installés dans une auberge du quartier du Puerto del Herrio. C’était
là que vivaient la plupart des étrangers et que descendaient les voyageurs de
passage dans la cité. Ils lui firent fête, tout comme un gamin aux grands yeux
rieurs dans lequel il eut peine à reconnaître le petit Diego. C’était un vrai
sauvageon qu’il sut vite amadouer en lui racontant son voyage à La Mine et en
lui parlant des animaux étranges qu’il avait vus. Fasciné, l’enfant le
questionnait sans cesse à ce sujet, afin de pouvoir ensuite impressionner ses
compagnons de jeux, une bande de vauriens contre lesquels Violante pestait en
vain. Curieusement, Diego ne lui posa aucune question sur sa mère, Dona
Felippa. Il paraissait l’avoir oubliée et se comportait comme si sa tante
l’avait mis au monde. Cristovao n’eut pas le courage de lui avouer que sa mère
s’était éteinte quelques mois après son départ, sans avoir un seul mot pour
lui. Il n’était pas encore en âge de comprendre le comportement étrange des
grandes personnes et il valait mieux ne pas lui ôter le tranquille bonheur
qu’il savourait auprès des siens.
Miguel Molyarte n’avait pas changé. Il était toujours fort
en gueule, autoritaire et cassant, constamment occupé à donner des ordres et à
jurer comme un beau diable quand ceux-ci n’étaient pas exécutés immédiatement,
ou comme il le voulait. Quand il lui expliqua qu’il continuait à souffrir de sa
blessure à la cuisse, son beau-frère lui suggéra d’aller chez l’apothicaire du
quartier. Il lui vendrait sans nul doute un onguent pour soulager ses douleurs.
Diego le conduisit à la boutique située non loin de
l’auberge, une vaste pièce encombrée de fioles et de bocaux, donnant sur un
jardin intérieur où poussaient des orangers et des citronniers dont le parfum
contrastait agréablement avec l’aigre odeur des baumes et des potions. À sa
grande surprise, l’apothicaire s’adressa à lui dans le dialecte de Gênes :
— Par saint Georges, le patron de notre bonne ville, je
ne m’imaginais pas qu’un jour je te retrouverais à Cordoue dans mon antre. Tu
n’as pas changé ou si peu, juste un peu forci.
Cristovao ne savait que dire. L’homme le mit à l’aise :
— Tu m’as sans nul doute oublié. Je suis Leonardo de
Esbarraya, dit le comte de Bethléem, et je suis heureux de saluer le duc du
Mont Thabor. Ce sont des choses que tu parais avoir oubliées. C’est bien
normal. Nous étions alors enfants et nos rêves ont pris de l’âge, tout comme nous.
Je l’ai constaté quand je t’ai retrouvé, des années
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