Chronique de mon erreur judiciaire
refusées.
Chapitre 6
Les mots pour le dire et l’écrire
ou
Quand la parole peine à soulager
Le lendemain matin, bien que réveillé à 7 heures, je décide de me donner du bon temps en restant au lit. Je laisserai les premiers détenus se préparer pour l’atelier et rejoindrai les autres à la douche de 9 heures. En mon for intérieur, j’ai l’impression que la malchance change de bord.
En fin de matinée, je reçois deux lettres de ma sœur Thérèse, une de ma sœur Dany et une de mes beaux-parents. Rien qu’en touchant ces enveloppes, ouvertes préalablement par l’administration, je suis frappé de bonheur. Lentement, je les pose sur mon cœur, murmurant mon adresse et celle de l’expéditeur à plusieurs reprises, avant de me décider à les parcourir.
Devant ces courriers chaleureux et réconfortants, montent à mes yeux des flots de larmes. Si mon bonheur est immense de recevoir ces marques de soutien, pas question d’offrir une prise, de laisser voir des marques de faiblesse à mes codétenus. Alors, je me cache, conscient de la nécessité de me montrer fort en ne laissant rien paraître.
L’étau se desserre-t-il pour que ces missives me soient enfin parvenues ? Je le crois mais je me trompe. Il me faudra en effet attendre le 10 décembre 2001, soit quasiment un mois après mon incarcération, pour recevoir une deuxième livraison. Des lettres de la famille, d’amis, pas de mes enfants ni de ma femme puisque nous n’avons pas le droit de communiquer, certaines datées du 26 novembre, ainsi que des photographies de mes trois enfants qui me font chavirer de bonheur et que je conserve comme des reliques.
*
Une heure plus tard, un surveillant pousse la porte de la cellule et s’adresse à moi.
— Marécaux, recommandé pour toi !
Interloqué, je signe le bordereau de l’accusé de réception, et découvre une lettre provenant de la direction de l’enfance et de la famille. Cruauté ignoble de l’administration, on m’informe du placement de mes enfants tout en me menaçant d’une procédure d’abandon si je ne me manifeste pas. Comment le pourrais-je puisque je suis incarcéré ? Et ne le savent-ils pas, puisque j’y suis sur décision d’un magistrat ? Kafka et Ubu se sont donné le mot pour ajouter la bêtise et le grotesque à l’ignominie. Ma femme et moi ne sommes coupables de rien, mais on nous retire la chair de notre chair d’un coup sec, comme une sauvage morsure au cœur. J’enrage, je pleure. Je n’en peux plus de tant de malheur.
Ce retour brutal du cauchemar me gonfle d’une haine inimaginable. J’en veux à la machine judiciaire comme jamais, jusqu’au désir de vengeance personnelle. Pourquoi mes enfants ont-ils été placés dans des familles d’accueil alors que nous avons de la famille prête à les recevoir ! Pourquoi cet aveuglement ? Pourquoi ce refus de voir leur bonheur primer sur les rouages d’une procédure inique ? Pas de doute, à cet instant précis, si je pouvais tuer, je crois que je le ferais sans hésiter.
En somme, alors que j’espérais un coin de ciel bleu dans la noirceur de notre destin bousculé, je suis victime de deux diktats injustifiables : le premier a été tenté par la police quand elle espérait des aveux pour des faits que je n’ai pas commis et le second m’est infligé par un système judiciaire en proie aux incohérences qui me met sous le coup d’une procédure d’abandon de mes enfants tout en m’empêchant d’agir en père !
*
Vais-je à jamais subir cette alternance de moments plus positifs et de coups de massue assénés par un système embarqué dans une logique erronée ? Je m’interroge et je n’ai aucune réponse. Qui pourra me les donner ? De l’extérieur viendra-t-il de l’aide ou simplement une main tendue ?
Je l’ignore mais j’attends.
J’attends notamment le parloir, trois par semaine pour les prévenus et un pour les condamnés, rencontres dont on n’est informé que le jour même. Le premier tour est à 14 heures, le deuxième à 15 heures et le troisième à 16 heures. Un peu avant, on vient nous chercher pour nous conduire vers le rond-point, où a lieu une fouille habillée. Ensuite, c’est l’entrée dans une cellule d’attente où s’entassent les autres détenus, lieu situé dans le bâtiment administratif. Au parloir ouvert à tous, chaque prisonnier trouve à disposition une petite table et quatre chaises, mais aucune intimité. Dans cette
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