Chronique de mon erreur judiciaire
pièce exiguë, le désordre règne : des enfants crient, des mères pleurent, des familles s’embrassent bruyamment. Pour entendre son interlocuteur dans ce brouhaha, il convient de tendre l’oreille et de forcer la voix. Et les plus malins profitent de ces contacts avec l’extérieur pour passer discrètement des messages, des instructions pour la gestion de certaines affaires, voire recevoir ou donner des objets interdits. Il suffit en effet de cacher la « chose » dans ses chaussettes, la manche d’un vêtement ou le slip. Quand sonne la fin de cette récréation, sous les pleurs des enfants, il faut se diriger vers des cabines où un déshabillage complet est obligatoire.
Mais moi, qu’ai-je à attendre de ces parloirs, si mon avenir n’est pas plus serein que mon présent ?
*
L’envie de pleurer me gagne à nouveau. Et cette fois, c’est de rage. La hargne monte en moi. Vers midi trente, un surveillant m’informe, à ma grande surprise, que j’ai parloir l’après-midi même. La nouvelle me réjouit et apaise un temps ma colère. Je suis heureux de voir quelqu’un de proche, quelqu’un à qui je pourrai parler en toute franchise.
Vers 16 heures, un gardien vient me chercher. Après le rituel de la fouille et quelques minutes interminables, j’aperçois mes deux sœurs Thérèse et Dany. Nous pleurons de joie en nous retrouvant enfin, les embrassades se succédant dans un élan de bonheur instinctif alors même que nous savons combien ma situation est dramatique. Je reçois grâce à elles des nouvelles de mes parents, pour qui le choc est très rude mais qui remontent la pente et se battent pour moi. J’ai également quelques informations sur les enfants, placés dans des familles d’accueil différentes et fréquentant de nouvelles écoles. L’une d’entre elles se trouve à Outreau, ce qui est un comble. Quant à Odile, mes sœurs me la décrivent dans le même état d’esprit que moi : la haine rivée au corps et mue par une incroyable soif de vengeance.
Thérèse et Dany développent leur stratégie pour nous porter secours, dont la constitution d’un comité de soutien. J’exprime mes doutes quant à son efficacité, mais elles y croient. Elles confirment aussi avoir vu mon avocat pour qui, normalement, ma libération n’est plus qu’une question de jours. Nous dissertons alors sur la bêtise commise par l’institution judiciaire. Une heure de parloir qui me donne l’impression de n’avoir duré que cinq minutes quand, vers 17 heures, elles doivent me dire au revoir. En les quittant, j’ai de nouveau les larmes aux yeux. Comment pourrait-il en être autrement avec pour seule perspective de regagner ma cage !
Chapitre 7
Parole d’un fils et fausse vérité de justice
ou
La convocation devant le juge des enfants
Décembre 2001. À l’ignominie, la fabulation et la présomption de culpabilité se joignent. Je suis convoqué devant le juge des enfants.
Puisque, dans le dossier d’Outreau, tous les « notables » sont d’avance considérés responsables et fautifs par les enquêteurs bien que n’ayant jamais été accusés de quoi que ce soit de semblable auparavant ; puisque, dans la folie, la pression et les questions mal posées d’un interrogatoire conduit par des policiers, forcément impressionnant pour un esprit sensible ayant toujours eu propension à inventer des histoires pour plaire et se rendre intéressant, mon cher fils a fait une déclaration abracadabrante portant à caution, je me retrouve en ce jour tragique et éprouvant devant le juge des enfants. Parce que Sébastien, du haut de ses neuf ans, a raconté lors d’une déposition, au détour d’une phrase manifestement suggérée par des adultes non formés à recueillir le témoignage des enfants, que je lui avais « tiré le zizi », mots immédiatement métamorphosés en « masturbation », je dois répondre de la terrible accusation d’agression sexuelle contre ma propre progéniture. Non content de retenir à mon encontre des violences pédophiles imaginaires sur des enfants dont j’ignorais jusqu’à l’existence, à cause de ce propos incroyable, détourné et transformé par le regard orienté d’adultes, monté en épingle alors qu’il n’a en rien la signification que ces gens lui prêtent, je suis désormais sous le coup d’un autre délit grave : une forme d’inceste. Mais comment m’extraire de ce puits sans fond ?
« Puisqu’il leur faut à tout prix me
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