Chronique de mon erreur judiciaire
une surcharge pondérale ! Conséquence de cet affaiblissement, je suis moins résistant au froid. Collé sur l’unique radiateur de la cellule avec plusieurs pulls sur le dos, j’arrive tout juste à écrire, à lire des bandes dessinées, communiquant le moins possible avec les autres. Mon irritation à leur égard croît à chaque instant : leurs discussions triviales m’exaspèrent parce qu’elles tournent, pour l’essentiel, autour d’histoires de fesses. Combien je préférerais être seul ou avec une personne ayant toute mon estime avec laquelle je pourrais discuter de problèmes de société, d’histoire, de religion…
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Puisque ma demande de mise en liberté a été rejetée, j’en régularise une autre auprès du chef de détention, un peu comme on tente sa chance au Loto, sûr de l’arbitraire de la justice mais aussi qu’aucun acte d’optimisme fou n’est à écarter. Qui ne tente rien n’a rien.
*
Deux jours avant la confrontation. Je ne dors pas.
Réveillé depuis 5 heures du matin, je reste au lit accroché à mes convictions en me persuadant de la nécessité de tenir le coup, parce que ce sera bientôt terminé. J’en suis tellement intimement persuadé que je ne commande aucun colis à ma famille en prévision du 25 décembre. Je fais quand même l’effort de manger deux pralines et un morceau de flan reçus par un codétenu.
Mon esprit oscille en permanence entre l’accablement et l’optimisme. Comme si une métamorphose s’opérait en moi, comme si le témoin lumineux de ma vie venait de s’éteindre et que toute mon existence s’écroulait. Tout ce que j’ai voulu gagner par le labeur, la droiture et le travail afin d’assurer confort et plénitude à tous les miens se voit peu à peu réduit à néant. Les études de mes enfants, leurs mariages, leur propre descendance, mon rôle de grand-père, ces images que l’on dessine au meilleur de son existence s’effacent et perdent sens. Mon être entier a été mis en veille parce qu’un magistrat a appuyé un jour sur le disjoncteur.
Inquiet de ce délabrement psychologique, je rencontre le psychologue pour la première fois. Devant cet homme assez correct et courtois, flanqué d’un assistant-étudiant, je craque et me mets à beaucoup pleurer. Une ouverture des vannes qui me fait du bien. Sauf que – et je le découvre plus tard – cet homme convoque uniquement les détenus impliqués dans des affaires de mœurs. Quelle honte ! Quel fardeau lourd à porter ! Pour moi comme pour les miens ! Y parviendront-ils d’ailleurs, notamment mes parents, et plus particulièrement ma mère de santé si fragile ?
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La colère me gagne à nouveau et mon désarroi explose. Comment est-il possible de confier une affaire de cette importance à un juge à mes yeux « inexpérimenté » ? Se croit-il infaillible à cause de son statut de magistrat ? Sans doute. Mais l’heure du décompte a sonné. J moins un. Devant passer en confrontation demain, jour du jubilé, gorgé d’espoir, j’ai cantiné des denrées pour permettre à mes codétenus de fêter Noël dignement : des huîtres, du foie gras, des toasts, une bouteille d’eau pétillante et des œufs afin de permettre à Atchoum de concocter une mousse au chocolat.
J’ai joué aux cartes et suivi un film, naïvement, jusqu’à 2 heures du matin. Les yeux mi-clos, je songe en fait à une tout autre fiction, plus réelle hélas qu’aucune autre, celle qui va trouver un dénouement heureux dans quelques heures. Celle de ma déroutante vie.
Chapitre 9
Face à l’ignominie
ou
La confrontation
18 décembre 2001. Je n’ai bien sûr pas fermé l’œil de la nuit.
Extraction à 7 h 30, passage en salle de fouille, arrivée au greffe et présentation à deux gendarmes pour la séance de menottage. La procédure ne varie pas.
Nous arrivons au tribunal en fourgon vers 9 h 30, et, comme à l’accoutumée, je suis placé en geôle d’attente. Mon avocat, serein, me recommande de m’en tenir à la stricte vérité, conseil inutile puisque, de toute façon, c’est ce que je veux faire.
Un quart d’heure s’est écoulé quand je pénètre chez le juge. En face de son bureau sont disposés plusieurs sièges destinés aux prévenus, à leurs avocats et à six gendarmes. Paradoxalement, dans cette histoire, une des personnes ayant reconnu avoir violenté des enfants à l’aide de godemichés a été libérée sous contrôle judiciaire et réside chez
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