Chronique de mon erreur judiciaire
posologies en épiant nos gestes parce que les filous – dont je fais partie – sont nombreux. Quant à l’hygiène, elle dépend de chacun. On ne pousse guère les détenus vers les douches, auxquelles il est recommandé de se rendre avant 8 heures sous peine de se laver dans la crasse des autres. Seules améliorations par rapport à ce que j’ai connu, l’installation de cabines individuelles qui évitent des projections d’eau sur nos vêtements, une eau qui a le mérite d’être chaude, et des draps changés toutes les quinzaines.
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Dans les jours qui suivent, rien ne m’est épargné. Je subis les bougonnements d’un généraliste qui ne m’ausculte pas. Je supporte les questions routinières d’une assistante sociale guère plus motivée. J’endure un passage au greffe où je prends connaissance d’une ordonnance de rejet de nouvelles confrontations, bref ma descente vers les enfers ne cesse pas, contrairement à ce que j’imaginais. Et puis, pourquoi me refuser l’occasion de mettre à mal les contrevérités de mes accusateurs ? Le nouveau magistrat instructeur suit-il scrupuleusement les pas de son prédécesseur pour se comporter ainsi ? Pourquoi l’heure de la mise en charpie des mauvaises fables, de l’abominable, de l’irréel, ne peut-elle sonner alors que je suis disposé à recevoir mes accusateurs, à batailler pied à pied pour montrer que les « techniques », le « vocabulaire », les « horaires », les « lieux de prédilection » qu’ils me prêtent n’ont rien à voir avec la réalité.
Dans une opération bien menée, le château de cartes des accusations iniques devrait s’effondrer mais, non, il reste toujours en place. À quoi cela tient-il ?
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Depuis mon arrivée à Amiens, ce sont Dany et son mari Bertrand qui assurent mon premier parloir. Et m’apprennent que mon successeur à l’Étude est sur le point de prêter serment. Deux pensées me submergent alors. Celle de former des vœux de réussite pour maître Annabelle Marguerite et celle de hurler contre l’image gigantesque de mon existence ruinée. Et pour corser le tout et me mettre plus encore le cœur à l’envers, le dimanche 28 avril mes neveux baptiseront leurs jumeaux. Or Odile devait être marraine de Lucas… et ni l’un ni l’autre nous ne serons là.
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Dimanche 5 mai 2002. Il fait un froid de canard et j’ai envie d’aller en promenade, ma première incursion dans le no man’s land s’étant bien passée. À peine ai-je commencé à faire un tour de la cour qu’une bande de plusieurs détenus m’arrête. Leur but : « me casser la gueule. » Excités, ils me bousculent et assènent m’avoir reconnu, hurlent que je suis un pointeur et que l’un d’eux a même vu ma photo dans le journal Détective. Je m’en défends comme un beau diable, leur mettant sous le nez un mandat de dépôt où il est écrit que je suis incarcéré pour « escroquerie ». En fait, il s’agit d’un faux papier reçu de mon père à l’hôpital psychiatrique de Clermont parce qu’il redoutait que je puisse avoir des ennuis de ce type. Apparemment calmés mais voulant en avoir le cœur net, ils me demandent de leur expliquer quel type d’escroc je suis. J’invente alors une rocambolesque histoire d’agent immobilier gonflant les frais à la charge de l’acheteur lors des transactions, argent que je me mettais dans la poche. Je dois être persuasif, puisqu’ils me saluent généreusement. J’en ai une nouvelle preuve : en prison, les escrocs, comme les dealers, sont respectés.
De retour en cellule, en sueur après cette altercation qui m’a mis les nerfs en pelote, je m’écroule de fatigue. Un sommeil rompu par l’arrivée d’un codétenu. Lorsque je l’aperçois, ce dernier regarde par la fenêtre, porte des cheveux longs que trahit pourtant un début de calvitie. Jean-Pierre, qui paraît correct, m’explique être là pour une histoire stupide. Alors qu’il se trouvait sur un parking, une personne l’a menacé d’un revolver pour lui prendre son autoradio. Parvenu à le déséquilibrer, il a retourné l’arme contre son agresseur et a tiré. Et c’est lui qu’on incarcère ! Peu après, je vais apprendre à connaître ce Français musulman faisant ses cinq prières quotidiennes, marié à une Arabe et père de quatre enfants. Ne sachant ni lire, ni écrire, je vais lui faire son courrier et lui lire celui qu’il reçoit.
Si nous nous entendons bien, un jour,
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