Chronique de mon erreur judiciaire
un SMPR adapté à mon cas, des conditions de détention contemporaines et non tout droit héritées du XIX e siècle. Puisqu’il y a un département dévolu à mon état de santé, j’imagine une chambre sécurisée à l’écart des autres cellules, munie d’équipements spécifiques et d’une cour où je pourrai « prendre l’air » sans courir le risque de me faire agresser. Hélas – et j’aurais dû m’en douter – de mes songes à la réalité il y a un gouffre.
Si la prison de Beauvais a cent places et celle d’Amiens, trois cent cinquante, ce n’est pas pour autant un palace. En fait, après avoir reçu un numéro d’écrou, je découvre, en déambulant avec un surveillant, une prison à « l’américaine ». À l’étage, des filets de protection empêchent les suicidaires ou les poussés de tomber au rez-de-chaussée tandis qu’un magnifique rond-point sert d’épicentre aux différents accès. Des souvenirs de mes études de criminologie me rappellent que cette architecture applique la théorie du panoptique (6) . Après avoir franchi une sorte de sas, je débouche sur une salle où, derrière un comptoir, sont assis plusieurs gradés en uniforme accueillant les nouveaux comme autrefois les militaires incarnaient le conseil de révision. Après les formalités d’usage, je m’enhardis à interroger ces hiérarques sur le fonctionnement du service médico-psychologique régional. Là, douche froide : on m’annonce qu’il n’a en fait jamais existé faute… de personnel ! Je suis donc déplacé à Amiens pour intégrer un service médicalisé qui n’existe pas. La nouvelle serait cocasse et surréaliste si elle n’était aussi dramatique. Suis-je encore vraiment un être humain pour cette administration pénitentiaire qui semble me déplacer comme un pion, sans égard pour ma santé ?
Alors en avant marche ! Draps, couverture, fourchette, assiette, verre, bol ainsi que mes cartons, tout part vers une cellule de quatre couchettes où il y a déjà quelqu’un. À ses interrogations, comme de coutume je fournis des réponses évasives, et, lorsque je cherche une armoire, on me rétorque que c’est inutile puisque je suis en transit. Tant mieux, me dis-je, ici c’est trop morbide.
Tandis que je vais chez le médecin psychiatre, le docteur Gonzales qui me confirme que les cellules adaptées à mon cas n’ont jamais été occupées bien que meublées, un nouveau détenu est arrivé. Sans vergogne, avec le premier locataire, ils ont fait bombance en avalant ma part de nourriture. Une impudeur supplémentaire dans un monde et un lieu qui en fourmillent, puisque la cuvette des toilettes est complètement souillée par les excréments et absolument pas cachée des regards par un rideau ou une porte.
Mon dieu, moi qui croyais ne pas pouvoir tomber plus bas.
*
Puisque je suis en transit, on ne peut me laisser là. Nouveau déménagement du mouton à tondre, cette fois dans les alpages. Vers la cellule 304, 3 pour troisième étage. Comme mon barda est enveloppé dans une couverture trop étroite tout tombe, mais le surveillant, goguenard, s’en moque. À moi de me débrouiller.
En pénétrant dans la geôle, je n’en crois pas mes yeux ! Un détenu y travaille sur une machine à poinçonner des sachets. Comme il doit pouvoir étaler son ouvrage, selon un contremaître – prisonnier de son état –, je ne peux m’installer là. Le chef me trouve enfin un espace pour déposer mes affaires : un local occupé par un troisième dan de judo, Guillaume, une sorte de baraque qui a forcément raison quand on discute avec lui ! Sympathique néanmoins, il m’aide à faire mon lit et à ranger mes affaires. Je m’installe et dois apprendre les coutumes de l’endroit.
Guillaume, bien connu des surveillants, étant autorisé à aller boire un Ricoré dans une autre cellule, je reste seul avec mon cafard. À Amiens, tous mes espoirs s’envolent. Je m’attendais à une amélioration par rapport à Clermont alors que tout est pire.
Ici, le petit déjeuner se fait avec le pain de la veille parce que celui du jour n’arrive qu’à 10 h 30. Ici, il n’y a ni réfrigérateur ni plaque chauffante. Ici, les condamnés de tous poils sont mêlés aux prévenus et entassés pêle-mêle, tandis que les « pointeurs », sujets aux brimades des autres détenus, une sorte de « double peine », sont isolés et privés de promenade. Ici, l’infirmière nous administre nos
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