Chronique de mon erreur judiciaire
pourtant, une dispute nous divise. Une querelle qui ne dure pas longtemps mais m’ouvre les yeux. Il me reproche de préférer dormir plutôt que de discuter avec lui. Ce qui n’est pas faux puisque je suis sous camisole chimique, shooté aux pilules, lesquelles obscurcissent mes week-ends comme s’ils n’existaient pas. Sous le coup, je nie, mais sa remarque m’aide à voir que je suis désormais dépendant des anxiolytiques et proche du légume. Un écueil contre lequel ma nièce Sandrine, pharmacienne de son état, m’avait souvent mis en garde, insistant notamment sur les effets nocifs du Tersian® et du Lexomil®. Or personne dans la famille ne savait qu’en prison j’échangeais en plus des cigarettes contre des Stilnox®, de l’Imovane® et du Theralene® (7) !
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On le constate, faute de SMPR, la maison d’arrêt d’Amiens se situe bien en deçà de mes attentes. Depuis quelques jours même, l’envie de me supprimer réapparaît. Avec la volonté de passer à l’acte en m’ouvrant les veines. J’écris d’ailleurs sur mon cahier de notes : « Je suis innocent des crimes que vous me reprochez mais je ne supporte plus cet univers carcéral, je préfère en finir avec la vie. »
Une audience devant la cour d’appel va-t-elle chasser ces idées noires ? Même pas. Réveil en fanfare à 6 h 30, prise de médicaments et direction le greffe. Là, des gendarmes m’attendent : je suis fouillé puis abandonné dans une cage, nu comme un ver, durant un long moment. Une humiliation, une entorse à ma pudeur, auxquelles je deviens habitué en ces lieux où règne la loi du plus fort. Arrivé à Douai, je suis placé en geôle, menotté et, très vite, appelé devant la Cour. Quand je m’étonne de l’absence de mon avocat, on me répond que sa présence est inutile ce jour-ci. En effet, mon appel ayant été mal enregistré – le greffe de la prison a visé une ordonnance du 16 avril au lieu d’une du 19 –, le président le déclare irrecevable, puis me renvoie sans autre forme de procès… si j’ose dire. Suis-je en train de flotter dans un mauvais rêve ? Vais-je me réveiller ?
Je doute de l’utilité de déposer autant de demandes. Maître Delarue, auquel je pose cette question peu après, me conseille au contraire de renouveler chaque fois mes demandes de mise en liberté sous contrôle judiciaire. Parce qu’un jour peut-être elles marcheront. Soit dit en passant, j’apprendrai plus tard, après le verdict de mai 2004, que l’abbé Wiel, autre compagnon d’infortune, en avait lui déposé cent trente-huit. Je n’ai pu vérifier auprès de lui si ce chiffre était exact mais, a priori, si je me réfère au premier postulat, l’abbé, une fois qu’il sera innocenté, pourra restaurer une vieille église et greffer sur son clocher une belle girouette et un coq en bronze.
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15 mai 2002. Je repars à la cour d’appel de Douai, accompagné de gendarmes à qui je ne dis pas un mot. Non par morgue ou rancœur mais par manque de force, étant bourré de drogues et totalement affaibli. Sur place, maître Delarue plaide magistralement avec, face à lui, une auditrice de justice qui passe son temps à admirer ses pieds, mais rien n’y fait. Énième coup d’épée dans l’eau.
De retour à la maison d’arrêt, comme on ne vérifie pas mes doses de médicaments, j’avale tout ce que j’ai. Cette fois, je vais signer ma mise en liberté moi-même. Peine perdue. Ma résistance physique aux médicaments est telle que je suis parvenu à absorber une dose que je pensais mortelle sans en souffrir.
Toujours vivant le lendemain je découvre, en plus de m’être manqué, que mon appel a été encore rejeté et mon incarcération, datant déjà de six mois, prolongée. Le 17 mai, le greffe me remet toute une série de documents et de rapports d’expertise. Les miens, ceux des victimes des sévices et ceux de mes propres enfants. Un calvaire à lire.
Pour comble de tout, quelque temps plus tard, mon beau-frère m’annonce que l’argent de la vente de l’Étude a bien été versé, mais que ma banque, le Crédit Agricole, fait des siennes. Un huissier de justice, tout du moins son clerc, me signifie en effet une dénonciation de saisie conservatoire et une assignation pour un crédit immobilier que je ne peux plus payer. Comme quoi, même au fond du gouffre, on n’a pas fini de chuter.
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27 mai 2002, j’ai trente-huit ans. D’habitude, je reçois un cadeau de ma
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