Claude, empereur malgré lui
voyager sans eau pendant des jours, connaissaient en outre parfaitement bien le pays. Ils commencèrent à serrer de près les forces romaines ; ils abattirent, tuèrent, dépouillèrent et mutilèrent quelques traînards rendus fous par la chaleur.
Géta avait un planton noir, né précisément dans ce désert, mais qui avait été vendu comme esclave aux Maures. Il ne pouvait se rappeler l’emplacement du puits le plus proche, car il était encore enfant quand on l’avait vendu. Cependant il dit à Géta : « Mon général, pourquoi ne pries-tu pas le Père Gwa-Gwa ? » Géta lui demanda qui était ce personnage. L’homme lui répondit que c’était le Dieu des Déserts, celui qui donnait l’eau en temps de sécheresse. « L’empereur m’a enseigné à adapter ma tactique au pays, dit Géta. Si tu m’expliques comment on doit invoquer le Père Gwa-Gwa, je le ferai aussitôt. » Le planton lui dit de prendre un petit pot, de l’enterrer jusqu’au col dans le sable et de l’emplir de bière ; ce faisant, il dirait : « Père Gwa-Gwa, nous t’offrons de la bière. » Alors les hommes rempliraient leurs gobelets de tout ce qui leur resterait d’eau dans leurs outres en conservant cependant de quoi tremper leurs doigts pour arroser le sol. Puis tout le monde boirait, danserait et adorerait le Père Gwa-Gwa, en aspergeant les alentours et en vidant complètement les outres. Géta lui-même chanterait : « L’eau se répand, que la pluie tombe ! Père, nous avons bu jusqu’à la dernière goutte. Il ne reste plus rien. Que devons-nous faire ? Bois de la bière, Père Gwa-Gwa, et envoie-nous de l’eau, sinon nous tes enfants, nous allons mourir ! » Car la bière est un puissant diurétique et ces nomades avaient les mêmes notions théologiques que les Grecs primitifs qui s’imaginaient que Jupiter urinait chaque fois qu’il pleuvait ; de sorte que le même mot (avec une simple différence de genre) est encore utilisé en grec pour désigner le Ciel et le pot de chambre. Les nomades estimaient qu’ils encourageaient leur Dieu à uriner, sous forme de pluie, s’ils lui offraient de la bière à boire. L’eau répandue, comme nos lustrations, devaient lui rappeler comment tombait la pluie, au cas où il l’aurait oublié.
Géta, en désespoir de cause, rassembla ses hommes épuisés et leur demanda s’il ne restait pas à l’un d’entre eux quelques gouttes de bière. Par chance, un groupe d’auxiliaires germains en avait conservé une pinte ou deux dans une outre ; ils avaient préféré apporter ce breuvage plutôt que de l’eau. Géta se le fit remettre. Il répartit équitablement toute l’eau qui restait, mais réserva la bière au Père Gwa-Gwa. Les hommes dansèrent, burent l’eau, arrosèrent le sable des gouttes, tandis que Géta prononçait la formule d’invocation qui lui avait été recommandée. Le Père Gwa-Gwa (son nom, apparemment, signifie « eau ») fut si content et si impressionné par l’honneur que lui faisait cette noble troupe de parfaits étrangers, que des nuages de pluie obscurcirent aussitôt le ciel et qu’une pluie torrentielle se mit à tomber qui dura trois jours et transforma chaque dépression creusée dans le sable en mares pleines à ras bord. L’armée fut sauvée. Les nomades, prenant cette pluie abondante pour le gage indéniable de la faveur qu’accordait le Père Gwa-Gwa aux Romains, vinrent humblement faire des offres d’alliance. Géta les refusa, tant qu’ils ne lui auraient pas livré Salabus. Bientôt, Salabus enchaîné fut amené au camp. Des présents furent échangés entre Géta et les nomades et un traité signé ; alors Géta se replia sans autres pertes vers les montagnes, où il s’empara des hommes de Salabus qui tenaient encore le défilé à l’arrière-garde. Il tua ou fit prisonnier le détachement tout entier. Les autres forces maures, voyant leur chef prisonnier emmené à Tanger, se rendirent sans plus combattre. Ainsi, deux ou trois pintes de bière avaient sauvé la vie de plus de deux mille romains et gagné à Rome une nouvelle province. Je donnai l’ordre qu’on vouât un autel au Père Gwa-Gwa dans le désert, au-delà des montagnes, où il régnait ; et le Maroc – que je partageai désormais en deux provinces : Le Maroc occidental avec Tanger pour capitale et le Maroc oriental, capitale Césarée – dut lui fournir un tribut annuel de
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