Claude, empereur malgré lui
cent outres en peau de chèvre pleines de la meilleure bière. J’accordai à Géta les ornements triomphaux et j’aurais demandé au Sénat de lui conférer le titre héréditaire de Maure (« de Maroc »), s’il n’avait outrepassé ses droits en exécutant Salabrus à Tanger sans m’avoir consulté préalablement. Cet acte ne fut commandé par aucune nécessité militaire ; il l’accomplit uniquement par gloriole.
J’ai mentionné il y a un instant la naissance de ma fille Octavie. Le Sénat et le Peuple en étaient venus à rechercher les faveurs de Messaline ; il était bien connu, en effet, que je lui avais délégué la plupart des charges qui m’incombaient en ma qualité de directeur de la Morale publique. Théoriquement, elle agissait en tant que conseiller, mais, comme je l’ai expliqué, elle possédait un double du sceau avec lequel je ratifiais les documents ; et, dans une certaine limite, je la laissais décider du choix des sénateurs ou des chevaliers à dégrader pour violation de l’ordre social, et de ceux qu’il fallait désigner aux places rendues vacantes. Elle s’était récemment attelée à un travail pénible : statuer sur le bien-fondé des demandes des candidats à la citoyenneté romaine. Le Sénat souhaitait lui voter le titre d’Augusta, dont le prétexte aurait été la naissance d’Octavie. Malgré tout l’amour que je portais à Messaline, j’estimais qu’elle n’avait pas encore mérité cet honneur : elle pourrait l’envisager dans son âge mûr. Elle n’avait encore que dix-sept ans, alors que ma grand - mère Livie n’avait reçu ce titre qu’après sa mort et ma mère dans un âge très avancé. Aussi le refusai-je pour elle. Mais les Alexandrins, sans m’en demander la permission – et une fois la chose faite, je ne pouvais la défaire – frappèrent une pièce avec à l’avers mon profil et au revers un portrait en pied de Messaline vêtue de la robe de la Déesse Déméter, tenant d’une main deux figurines représentant son petit garçon et sa petite fille, et de l’autre une gerbe de blé symbolisant le fertilité. C’était un jeu de mot flatteur sur le nom de Messaline, le mot latin messis signifiant moisson. Elle en fut ravie.
Elle vint me trouver timidement un soir, me regarda à la dérobée sans rien dire et me demanda enfin, embarrassée de toute évidence, et après un ou deux faux départs : « Est-ce que tu m’aimes, mon cher mari ? »
Je lui assurai l’aimer plus que tout au monde.
— Et quels sont, m’as-tu dit l’autre jour, les Trois Piliers Majeurs du Temple de l’Amour ?
— J’ai dit que le Temple du Véritable Amour est soutenu par la bonté, la franchise et la compréhension. Ou plutôt j’ai cité le philosophe Mnasalque qui l’a dit avant moi.
— Alors, veux-tu me montrer la bonté et la compréhension les plus grandes que ton amour pour moi soit capable de dispenser ? Mon amour à moi ne fournira que la franchise. Je vais droit au but. Si ce n’est pas trop dur pour toi, voudrais-tu – pourrais-tu – m’autoriser à faire chambre à part pendant quelque temps ? Non que je ne t’aime autant que tu m’aimes, mais maintenant que nous avons eu deux enfants en moins de deux ans de mariage, ne devrions-nous pas attendre un peu avant de risquer d’en avoir un troisième ? C’est une chose bien désagréable d’être enceinte ; j’ai des nausées le matin, des aigreurs d’estomac, ma digestion se fait mal et je ne me sens pas capable actuellement d’affronter à nouveau cette épreuve. Et, pour parler franc, mise à part ma peur d’une grossesse, je n’éprouve plus l’ardeur qu’avant je ressentais pour toi. Je jure que je t’aime toujours autant, mais c’est maintenant plutôt comme un ami très cher, comme le père de mes enfants, que comme un amant. Mettre au monde des enfants émousse, je suppose, les émotions d’une femme. Je ne te cache rien. Tu me crois, n’est-ce pas ?
— Je te crois, et je t’aime.
Elle me caressa le visage.
— Et je ne suis pas de ces femmes ordinaires dont la seule activité est de faire des enfants, des enfants et encore des enfants, jusqu’au total épuisement, n’est-ce pas ? Je suis ta femme – la femme de l’empereur – et je t’aide dans ton impérial labeur, ce qui doit passer avant tout autre chose, n’est-il pas vrai ? Les grossesses contrarient terriblement cette
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